Il y a cinq ans à peine, les amateurs de pornographie infantile achetaient dans des boutiques louches ou commandaient par la poste de quoi assouvir leurs coupables penchants. Ils avaient un nom, une adresse... bref, ils laissaient des traces. C'était avant Internet, avant qu'ils n'aient la possibilité de se fondre dans l'infini de la grande toile. « Nous avons commencé à nous intéresser à la pédophilie virtuelle en 1997, raconte le policier, lorsque nous avons participé à une vaste opération des douanes américaines. » Étrange enquête qui faisait la charnière entre deux époques : le pédophile commandait le matériel pornographique sur un (faux) site Internet, mais il le recevait par la poste. Il suffisait ensuite à un policier de se déguiser en livreur, de remettre au « client » la revue ou la cassette convoitée, puis de lui mettre la main au collet. Douze arrestations juste pour le Québec ! Depuis, les choses se sont singulièrement compliquées. Tout passe par le Net. Il y a d'abord les sites pédophiles où sont exposées des images insupportables. Souvent, ce sont des internautes qui tombent dessus par hasard et les signalent à la police. L'an dernier, la Sûreté du Québec a fermé deux de ces sites et arrêté leurs webmestres. Le premier, un homme de Princeville, était... chauffeur d'autobus scolaire. Le second, de Buckingham, avait 13 ans ! Mais les sites pédophiles, souvent basés à l'étranger, ne sont que la pointe de l'iceberg. Le grand danger, tous les experts le reconnaissent, ce sont les groupes de discussion sur Internet. C'est là désormais que passe 95 pour 100 de la pornographie infantile et que s'échange la majeure partie du matériel (photos, magazines, films...). Outre qu'ils leur permettent de communiquer entre eux, ces forums, qui se comptent aujourd'hui par centaines de milliers, offrent aux pédophiles un terrain de chasse idéal où approcher et séduire de jeunes âmes en détresse. Surveiller ces groupes de discussion, même si des centaines de policiers s'y emploient à travers le monde, revient à peu près à vouloir contrôler l'espace aérien d'un pays à l'aide d'une paire de jumelles. Les pédophiles, qui l'ont bien compris, s'organisent de mieux en mieux, apprennent à multiplier les relais, à brouiller les pistes. Au Québec, pour se livrer à cette traque inégale, le sergent Ouellet ne dispose à plein temps que de quatre enquêteurs de la Direction de la lutte au crime organisé. Ils collaborent avec les polices de 39 pays, passent une bonne partie de leurs journées à scruter la grande toile... et sont parfois récompensés de leur ténacité. « L'an dernier, confie le chef de cette modeste brigade, nous avons traité 118 dossiers de pornographie juvénile et arrêté 30 personnes. » Dans ce lot, il y a des êtres profondément malfaisants, dangereux, mais aussi des déviants occasionnels, imprudents, qui se croient insaisissables parce qu'ils fraient dans un monde d'illusions. « Les gens pensent souvent, à tort, que les lois ne s'appliquent pas dans le cyberespace, s'étonne Claude Labonté, responsable de la sécurité et de l'éthique pour le fournisseur d'accès GlobeTrotter. Et, quand on leur signale qu'ils font quelque chose d'illégal, ils brandissent l'étendard de la liberté d'expression.» Le sergent Ouellet, quant à lui, parle d'un phénomène de « déresponsabilisation » face au Web : « Pourtant, insiste-t-il, la possession de matériel pédophile constitue un délit. On ne peut rien faire contre quelqu'un qui consulte un site, mais dès que cette personne télécharge ou imprime une image, elle commet un acte criminel. » Alors, quand ses hommes surprennent un échange de cette nature sur le Net, ils remontent jusqu'au fournisseur d'accès grâce à de puissants systèmes de traçage, puis obtiennent à partir de là l'adresse postale de l'abonné. « Leur inculpation ne pose ensuite pas trop de problèmes, explique le sergent Ouellet, parce que les pédophiles sont par définition des collectionneurs. Ils ne peuvent se résoudre à se débarrasser de leurs « trophées ». Le jeune garçon de 13 ans que nous avons arrêté l'an dernier possédait plus de 1000 photos de pornographie juvénile. » Et les photos ne sont qu'une étape. « Il ne faut pas oublier que l'objectif ultime, c'est le passage à l'acte », rappelle le sergent Ouellet. Là, le danger pour les enfants vient surtout des forums de discussion que les pédophiles écument, à la recherche de proies vulnérables. Leur modus operandi est presque toujours le même : ils s'immiscent dans une conversation où un jeune parle de ses difficultés, puis jouent la carte de l'empathie. « Avec le temps, le pédophile crée un lien avec l'enfant, raconte le policier. Il le comprend. Il a soi-disant eu les mêmes problèmes avec ses parents, mais, un jour, il a vécu une expérience qui a transformé sa vie. On dit alors qu'il « désinhibe » l'enfant, c'est-à-dire qu'il détruit en lui le sentiment de culpabilité qu'il éprouve à avoir une relation sexuelle avec un adulte. » C'est probablement de cette manière que s'y est pris Boris Shaefer. Ce père de famille de 28 ans, accusé entre autres choses d'agression sexuelle, aurait convaincu Kalima C.*, 13 ans, de le rejoindre en mars dernier dans un hôtel de Québec. Leur escapade a duré deux jours. L'ironie de l'histoire, c'est que, sans la méfiance du père qui a vérifié si sa fille dormait bien « chez une amie », l'affaire n'aurait sans doute jamais été ébruitée. Kalima C. serait rentrée chez elle, seule, meurtrie à jamais et condamnée au silence. CONSEILS Rien n'est plus facile que de s'inventer une identité sur Internet. Des adultes mal intentionnés peuvent parfaitement prétendre avoir le même âge qu'un enfant ou qu'un adolescent et, progressivement, gagner sa confiance. Pour éviter ces pièges, la vigilance des enfants comme des parents s'impose. Parents :
Enfants et adolescents :
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