Il était une fois une statue de sel qui voulait voir la mer. La mer, qu'elle s'était fait raconter bien souvent, exerçait sur elle une attraction invincible,
une véritable fascination.

Un jour, n'y tenant plus, la statue se mit en marche, résolument, vers l'immense étendue d'eau salée. Parvenue sur la plage, elle trempa doucement les pieds dans l'eau du rivage. Mais la vague qui s'avançait ne tarda pas à lui lécher les genoux en guise de bonjour et le ressac la poussa plus loin sur les flots aux reflets d'argent.

Que c'était beau ! Et comme c'était bon ! Sans trop s'en rendre compte, à force de contempler cette grande dame, notre statue se retrouva dans l'eau jusqu'à la ceinture. Mais quelle ne fut pas sa surprise de constater qu'à mesure qu'elle s'enfonçait dans l'onde elle fondait : son sel se diluait et se mêlait au sel de la mer.

Impossible désormais de reculer, de revenir en arrière : elle n'avait plus de pieds, plus de jambes, bientôt plus de bassin. Mais ce qui la renversait, c'est qu'elle s'en trouvait bien. Elle continua donc à avancer toute heureuse de se perdre dans cet univers aquatique.

Vint un moment où on ne la vit plus du tout. Non pas qu'elle était très éloignée de la rive, c'était plutôt qu'elle était confondue entièrement avec la mer elle-même.

Était-ce la mer qui s'était répandue en elle ?

Ou était-ce elle qui s'était perdue dans la mer ?

On ne sait pas. Tout ce que l'on sait, c'est qu'on ne la revit jamais ou plutôt c'est qu'on la voyait sans la voir chaque fois qu'on regardait la mer.

Jules BEAULAC,
Et Jésus, dans notre vie ? Éd. Paulines, Montréal 1990.

 

 

   

   
 

En exclusivité pour Au Jardin de l'amitié

Copyright (Au Jardin de l'amitié) © 2016 Tous droits réservés