Des points de douleurs répartis dans tout le corps, une fatigue constante, un état dépressif et une kyrielle de symptômes associés, sans compter une vie quotidienne complètement perturbée par la douleur et la fatigue : voilà les grands traits du portrait très complexe de la fibromyalgie qui affecte environ 3% de la population et dont 90% des victimes sont des femmes. Une maladie que l’on connaît encore mal, que l’on a longtemps ignorée, mais qui commence à révéler ses secrets. « La fibromyalgie n’est pas une maladie imaginaire, mais bel et bien un déficit du système nerveux central. » Il y a 5 ans, lorsque le Dr Serge Marchand, imminent chercheur et spécialiste de la douleur, parlait ainsi de la fibromyalgie dans les congrès médicaux, il se heurtait aux préjugés et à l’ignorance qui entouraient cette maladie que l’on qualifiait alors d’imaginaire. La fibromyalgie n’était alors prise au sérieux que par quelques chercheurs. Or, 5 ans plus tard, on en sait beaucoup plus sur cette étrange maladie qui affecte, selon la Société d’arthrite, 9000 000 Canadiens. Les recherches du Dr Marchand, titulaire de la chaire conjointe sur la douleur de l’Université du Québec à Rouyn et de l’Université de Sherbrooke, ont permis de comprendre les mécanismes de la fibromyalgie. Notre système nerveux central produit des substances chimiques, comme la sérotonine et la noradrénaline, des neurotransmetteurs chargés de contrôler l’humeur, mais aussi de stimuler les inhibiteurs de la douleur, de régulariser le sommeil, de stimuler les fonctions gastro-intestinales et des fonctions cognitives comme la concentration et la mémoire. Chez les personnes atteintes de fibromyalgie, on constate un déficit de ces neurotransmetteurs. Voilà pourquoi les antidépresseurs parviennent à contrôler la maladie. Les molécules de ces médicaments agissent directement sur la production de sérotonine et de noradrénaline. L’humeur est stabilisé, mais du même coup, la douleur aussi, puisque les inhibiteurs de la douleur sont de nouveau stimulés. La trouvaille du Dr Marchand a été de démontrer que ces neurotransmetteurs agissent aussi sur la douleur et d’autres fonctions, et non pas seulement sur la dépression. Cette découverte a convaincu bien des médecins, même s’il s’en trouve encore pour croire aux simples réactions psychologiques. Mais comment expliquer que 90% des fibromyalgiques sont des femmes ? Les recherches, dont celles du Dr marchand, se tournent pour l’instant vers les hormones sexuelles. Les chercheurs explorent différentes pistes. Ainsi, on croit que la testostérone des hommes agirait comme un protecteur dans le processus de la douleur. Autre constatation : plusieurs femmes fibromyalgiques cessent d’avoir des douleurs pendant la grossesse, lorsque leur taux d’œstrogène et de progestérone est plus élevé. Par contre, la ménopause augmente les douleurs et les symptômes chez certaines femmes, mais les diminue chez d’autres. Bref, encore bien des questions auxquelles la recherche devra répondre.
Toutefois, même si les chercheurs parvenaient à expliquer le rôle des hormones sexuelles dans le développement de cette maladie, on ne pourrait encore répondre à de nombreuses questions. Par exemple, quelles sont les causes de la fibromyalgie ? « Il ne faut pas chercher les causes de la fibromyalgie, mais bien des fibromyalgies », répond le Dr Marchand, convaincu qu’il en existe plusieurs types. Jusqu’à présent les spécialistes s’entendent déjà sur deux grandes famille de la maladie : la fibromyalgie primaire et la fibromyalgie secondaire. On dit fibromyalgie secondaire dans les cas où la maladie se manifeste chez des patients ayant subi un traumatisme physique ou psychologique, des personnes abusées ou ayant été victimes d’agression ou ayant subi un choc émotif. Accidents, blessures graves et autres types de traumatismes physiques peuvent aussi être à l’amont de la maladie. La fibromyalgie primaire, pour sa part, ne découle pas d’un traumatisme. Elle pourrait être reliée au système hormonal ou à d’autres causes que les chercheurs n’ont pas encore identifiées.
Premier symptôme : La douleur Une douleur parfois diffuse, parfois précise, dans plusieurs points du corps à la fois. Une douleur constante, parfois si intense qu’elle perturbe le sommeil et limite les activités. Une douleur sans raison apparente, qui s’installe dans les bras, les jambes, les hanches, la base du cou et les épaules et qui se répand parfois à travers tout le corps. Voilà le premier symptôme dont parlent les victimes de fibromyalgie qui consultent un médecin. C’est d’ailleurs la douleur qui sert de premier repère diagnostic. Le Collège des médecins a dressé une liste détaillée de critères d’évaluation très précis pour la douleur fibromyalgique. De fait, pour conclure à la fibromyalgie, la douleur doit persister depuis au moins 3 mois consécutifs et être ressentie sur au moins 11 des 18 points de douleurs répertoriés. Les 11 points douloureux doivent également être répartis dans les cadrans du corps (supérieur droit et gauche, inférieur droit et gauche). Les points de douleur identifiés pour la fibromyalgie sont bilatéraux. Autrement dit, les douleurs sont ressenties aux même endroits des deux côtés du corps, et ce, en même temps. Cet outil diagnostic n’est toutefois qu’un repère. Il arrive aussi que la douleur soit généralisée ou alors très diffuse, mais ressentie un peu partout dans le corps. L’intensité des douleurs est variable selon les patients, les moments de la journée, les périodes du cycle menstruel ou les épisodes de vie. Le stress peut augmenter l’intensité ou la fréquence des crises de douleur alors que chez d’autres patients, la douleur est constante. On imagine dès lors assez facilement le cauchemar du quotidien. Deuxième symptôme : La fatigue La douleur perturbe le sommeil et gruge les réserves d’énergie. Pour certains fibromyalgiques, la fatigue chronique prend parfois le pas sur la douleur. On a d’ailleurs longtemps cru que la fibromyalgie n’était qu’un état de fatigue chronique. Troisième symptôme : La dépression D’abord en raison du déficit des neurotransmetteurs, mais aussi parce que la maladie elle-même est déprimante (vie quotidienne bouleversée, manque d’énergie, douleur, sommeil non réparateur). Sans compter les jugements de l’entourage qui croit plus ou moins à la maladie…
Les antidépresseurs sont utilisés en tout premier lieu pour rééquilibrer l’activité cérébrale; dans certains cas, on ajoute des anti-douleurs. « On mise aussi beaucoup sur l’exercice physique », précise le Dr Marchand. Marche, danse, natation, vélo… L’important, c’est de bouger ! La physiothérapie propose aussi des mouvements réparateurs et des traitements par ondes sur les douleurs. D’autres avenues sont exploités, le traitement sur table de résonance sonore par exemple, comme le propose la clinique PsychoPhysio qui se spécialise dans le traitement de la fibromyalgie et de la dépression. Il s’agit de vibrations acoustiques qui agiraient sur les points de douleurs. La technique serait même reconnue par certains rhumatologues.
Malgré la reconnaissance médicale et les découvertes, le vrai défi reste pour l’instant de vivre avec la fibromyalgie. À 53 ans, Carole Sirois, présidente de l’Association québécoise de la fibromyalgie qui regroupe 5 associations régionales, continue de se battre quotidiennement contre ce mal qui hypothèque son énergie depuis 18 ans. « Il faut apprendre à doser ses dépenses d’énergie, trouver la bonne combinaison de médicaments, faire de l’exercice physique selon ses capacités et surtout parler de sa maladie avec son entourage », conseille-t-elle. Son association compte au total 1 000 membres. C’est peu. « Le silence entoure encore la maladie, explique Carole Sirois. Bien des femmes, et aussi des hommes, ont peur de parler de leur symptômes, craignant de ne pas être pris au sérieux. » Et pourtant, lorsqu’on regarde le portrait type de la fibromyalgie, il s’agit souvent d’une « superwoman » très exigeante envers elle-même. « Ralentir son rythme, respecter ses limites, voilà ce que j’ai dû apprendre avec cette maladie. Non, la fibromyalgie n’est pas la maladie de ceux qui s’écoutent, elle est bien souvent, au contraire, la maladie de gens qui ne s’étaient jamais écoutés. » Le défi du quotidien est de taille. Certains jours, le patient ne peut quitter le lit ou encore ne peut être actif que quelques heures ou ne peut accomplir que des tâches légères. Heureusement, si certains employeurs ou assureurs refusent toujours de reconnaître la fibromyalgie, d’autres ont pris le virage et n’hésitent pas à faire appel à des cliniques spécialisées comme Physergo à Montréal, où des physiothérapeutes, psychologues et ergothérapeutes offrent des programmes de retour et de maintien à la vie active. Des groupes d’entraide voient aussi le jour un peu partout à la faveur des associations régionales. Du côté de L’Université de Sherbrooke, étudiants et chercheurs sont à mettre l’École de la fibromyalgie sur pied. On y développera des programmes d’adaptation et de gestion de l’énergie et de la maladie.
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