J'ai peur.  J'ai peur de beaucoup de choses maintenant.  Avant, pourtant, je n'avais pas peur.  J'avais papa et puis j'avais maman.  Ils m'aimaient, me cajolaient, me berçaient et prenaient grand soin de moi.  J'étais si bien.

Puis un jour, ou peut-être un soir, les choses ont changé.  J'ai oublié comment cela est survenu, mais je sais que tout est devenu noir.  J'avais si mal.  Partout.  Dans ma tête et dans mon corps.  Mais j'avais surtout cette peur horrible qui ne m'a jamais plus quittée depuis.

C'était d'autant plus épeurant que mes yeux me refusaient désormais l'accès à la lumière.  Ma vue s'en était allée en même temps que la sécurité qui m'était si douce auparavant.  Mais ça, c'était avant que ma maman ne parte pour aller travailler.  C'était avant que mon papa ne se fâche pour de bon.  Oh ! il a bien essayé de consoler mes pleurs, mais mes coliques ont eu raison de sa patience.  Après un moment, il a craqué.

Ce que j'ai alors vécu, on appelle ça le syndrome du bébé secoué.  En tout cas, c'est ce que le médecin a dit à maman.  Malgré les regrets amers de papa et malgré toutes les tentatives pour me sauver, je ne survivrai pas.

Papa m'a brassée trop fort.  C'est que c'est drôlement fort un papa !  Pourtant, je me rappelle combien j'étais si confortable et si bien dans ses bras musclés avant qu'il ne me fasse si mal.  C'était mon petit nid tout chaud, tout rassurant.  Là, rien ne pouvait m'arriver.  Mais ce jour-là, le petit nid est devenu un piège.  Un piège dont je ne sortirai pas vivante.

 Au secours !  Que t'arrive-t-il papa ?  Je n'ai que trois mois et je vais mourir.  Je suis... morte.

Dans mon texte, c'est le papa qui fait horrible figure, mais ça aurait tout aussi bien pu être la maman.  La vérité, c'est que ces tristes choses arrivent, et que par-dessus tout, il faut qu'elles cessent d'arriver.

Cécile, Marievielle

Source : Le courrier de Louise Deschâtelets
Le Journal de Montréal - 2 mars 2008