Filipo
aimait beaucoup aider son père au
moulin. Il amenait l'âne jusqu'à la
meule, l'attachait solidement, fixait
devant lui le bâton au bout duquel
pendait la carotte providentielle. Il
lui suffisait alors de donner deux
petits coups secs sur le dos de l'âne
pour qu'il démarre. La bête poursuivait
sa lente course à la carotte jusqu'au
soir pendant que Filipo rêvassait,
étendu sur les sacs gonflés de farine.
Ernesto, son père, portait les gerbes de
blé dans la remise et vérifiait de temps
à autre les rouages de l'immense moulin.
Le jeune garçon trouvait bien bête l'âne
qui courait inutilement jour après jour
après une carotte qu'il n'attraperait
jamais.
Un
soir, alors que l'âne finissait, épuisé,
son dernier tour et que Filipo aidait
son père à rentrer les gerbes, il fit
cette réflexion :
"Tout
de même, c'est bête un âne : tourner en
rond toute la journée, dans la chaleur,
sans manger, ni boire, et pour une
carotte qu'il n'attrape jamais. Il
faudrait me donner cher pour prendre sa
place !"
Le père
de Filipo lâcha sa dernière gerbe, mis
ses mains sur ses hanches et toisa son
fils :
" Et
crois-tu que nous sommes si différents
de lui ? Nous travaillons aussi dur,
jusqu'à la nuit. Alors seulement nous
rentrons, nous mangeons, nous montons
nous coucher et là, avec un peu de
chance, nous rêvons que la vie est
facile, qu'elle nous donne tout à
profusion sans que nous ayons besoin de
travailler.
Mais le
matin, notre dos endolori et nos mains
calleuses nous rappellent combien
éloignée est la carotte et qu'il faudra
bien longtemps avant que nous puissions
l'atteindre. "
(C.
Godefroy)
Notre
société est-elle si différente de la
situation décrite dans cette courte
histoire ? Nous
courons inlassablement vers la réussite
qui comblera nos désirs, vers la
richesse, vers le confort.
La
carotte ? Ce sont
les publicités, les devantures, le
discours des marchands de rêve qui nous
incitent à consommer. Ne
vaut-il pas mieux ramener nos ambitions
et nos désirs à des objectifs plus
réalistes pour les satisfaire plus
sûrement ?
C.
Godefroy |