Elles prennent plaisir d'écorcher des crapauds,
de poudre d'araignées assaisonnent leurs peaux,
et, dans les eaux puantes du lac Tennarien détrempant leur venins.
Ces marâtres méchantes
font mourir les humains de leurs charmes malins.
À la suite de fatigues longtemps soutenues, je fus atteint d'une fièvre nerveuse qui épuisa rapidement le reste de mes forces.
Chose étrange ! Il me semblait que la vie, qui abandonnait peu à peu mon corps, se réfugiait toute entière dans mes facultés morales.
Réduit au dernier degré de l'atonie physique, jamais je n'avais éprouvé plus de force ou même d'exaltation morale.
Le moment de la crise définitive arriva : je me sentis comme emporté dans un tourbillon lumineux au milieu duquel flottaient les figures les plus fantastiques, tandis que mon corps était agité de frissonnements convulsifs et que retentissaient à mes oreilles les éclats et les sifflements d'une affreuse tempête.
Je me cramponnai de toutes mes forces à la vie qui paraissait vouloir m'échapper, lorsque enfin mes sensations devinrent si confuses, que je m'abandonnai malgré moi à cet état qui n'était pas sans quelque douceur, et je perdis bientôt tout sentiment de l'existence.
Je ne sais combien de temps je restai ainsi, quand tout à coup je me réveillai dans un calme presque exaltique : mon corps était parcouru par une foule de sensations voluptueuses et mes sens, ainsi que mon intelligence, m'étaient complètement rendus...
En ce moment le médecin, s'étant approché de mon lit, laissa échapper ces mots : "Tout est fini !" Puis il recouvrit ma figure d'un drap, et mes oreilles furent frappées par les sanglots de ma famille éplorée.
Alors je voulus parler, faire un mouvement. Je sentis avec horreur que ma langue était fixée à mon palais et que mes membres qui percevaient le contact des couvertures qui m'enveloppaient, enlacés par d'invisibles liens, se refusaient à exécuter le moindre mouvement.
Dès le lendemain et durant trois jours, je restai exposé pendant que les amis de la famille venaient faire leur visite de condoléances.
J'entendais et je comprenais tout ce qui se passait autour de moi et, de minute en minute, j'espérais vainement que le charme fatal qui pesait sur moi allait être brisé.
Le matin du quatrième jour, je fus remis aux mains des ensevelisseurs qui me traitèrent avec la plus révoltante brutalité; et lorsque l'un d'eux, pour me faire entrer dans une bière trop étroite, pressa de son genou ma poitrine, j'éprouvai une si cruelle torture que j'eus l'espoir un instant que la possibilité d'exprimer ma souffrance allait m'être rendue.
Il me fallut encore y renoncer.
La bière fut recouverte et j'entendis bientôt le grincement des clous qui s'enfonçaient lentement dans le bois.
Il me serait impossible de trouver les termes pour exprimer ce que mon âme contenait alors de terreur et désespoir. Chaque coup de marteau vibrait dans ma tête douloureusement comme un glas funèbre m'annonçant le destin qui m'était réservé.
Encore si j'avais pu crier, même sans espoir d'être entendu, si j'avais pu pousser quelques gémissements ! Mais non !
Tandis que ma poitrine et mes épaules étaient écrasées dans un espace étroit, tandis que je sentais ma tête et mes membres meurtris et déchirés par le dur contact et par les aspérités de la bière, il me fallait rester immobile et sans voix.
Je n'aurais jamais cru que, sans se briser, un coeur pût être labouré par d'aussi épouvantables
angoisses.
Bientôt on me souleva, on me déposa sur le char funèbre qui se mit en route et on arriva au cimetière. À ce moment, je voulus tenter un dernier effort mais ce fut toujours en vain.
Je me sentis balancer au dessus de la tombe qui allait m’engourdir et tandis qu'on me descendait lentement, je distinguais le bruit que faisait le cercueil en froissant les quatre murailles de terre.
Quand je fus parvenu au fond de la fosse, j'entendis la voix grave et solennelle d'un ami. Il m'adressait un tendre adieu qui parvint jusqu’à moi comme un dernier écho des bruits de la terre.
Et bientôt un fracas épouvantable, qui s'éteignit peu à peu comme des roulements lointains de tonnerre, m'annonça que ma tombe venait d'être comblée.
Tout était donc fini !
J’étais pour jamais séparé des vivants. Comment ne suis je pas mort en cet instant terrible ? ...
Je ne sais combien de longues heures je restai ainsi. J'avais espéré que mes angoisses seraient brèves et qu'une prompte asphyxie éteindrait, et mes sensations, et mon existence.
Je m’étais trompé. Je ne pouvais faire aucun mouvement, mon coeur ne battait plus, ma poitrine n'était soulevée par aucune inspiration et pourtant je vivais ! Car je souffrais ! Je vivais ! Mon intelligence et ma mémoire n'avaient rien perdu de leur énergie...
Cependant, mes tristes pensées furent interrompues par un bruit lointain qui, d'abord, me plongea dans une grande anxiété.
Le bruit se rapprocha insensiblement et je sentis mon cercueil arraché des entrailles de la terre.
On l'ouvrit et je perçus l'impression d'un froid pénétrant; impression qui me parut pourtant délicieuse, illimitée qu'elle était par un rayon d'espérance.
On me transporta longtemps, puis on me laissa tomber lourdement sur un marbre humide et glacé. J'entendis autour de moi une multitude de voix. Des mains me palpaient en tous sens et, l'un de mes yeux ayant été ouvert par hasard, je me vis au milieu d'un amphithéâtre de dissection et entouré d'un grand nombre de jeunes gens, parmi lesquels je reconnus deux de mes anciens compagnons de plaisir.
Je ne saurais dire si, en cet instant, la terreur l'emportait en moi sur la joie. Certes ma situation était devenue moins cruelle car il pouvait se faire que les expériences auxquelles on allait me soumettre qui me rendissent à la vie ou du moins me donnent promptement la mort.
On résolut d'abord de me soumettre à un courant électrique. L’appareil fut préparé et à la première décharge de fluide, mille éclairs jaillirent devant mes yeux et une commotion terrible ébranla tout mon être. Une seconde décharge fut plus énergique encore; je sentis tous mes nerfs vibrer comme des cordes d'une harpe et mon corps se dresser sur son séant, les muscles contractés, les yeux ouverts et fixes.
J'aperçus en face de moi deux amis dont les traits exprimaient l'émotion de la douleur et ils demandèrent avec insistance que l'on mît fin à ces hideuses expériences.
On m'étendit sur la table de marbre. Le professeur s'approcha de moi, le couteau à la main et me pratiqua une légère incision sur les téguments de la poitrine...
Au même moment, une révolution épouvantable s'opéra dans tout mon corps, je parvins à pousser un cri terrible en même temps que les assistants laissaient échapper des cris d'horreur.
Les liens de la mort étaient brisés : j'étais rendu à la vie !...
John Mac Inthyre, 1824
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