Chapitre 1 : Vladimir
Vladimir Igor Borenchensko, depuis
qu’il savait frapper sur un arbre,
était bûcheron comme son père
l’était et le père de son père ainsi
que le père du père de son père.
Aussi loin que la mémoire peut
remonter dans le temps chez les
Borenchensko, on est bûcheron de
père en fils. Comme les Romanov sont
Tsars de toutes les Russies depuis
des générations, les Borenchensko
abattent des arbres et vendent à la
ville le bois qu’ils ont fendu.
C’est ainsi et jamais Vladimir ne
s’est plaint, malgré la solitude,
malgré les longs hivers, malgré les
loups ou les accidents. Au
contraire, Vladimir rendait grâce,
tous les matins, d’être debout et de
pouvoir partir sa hache sur l’épaule,
abattre un centenaire.
Ce jour-là, avant le lever du soleil,
Vladimir devait partir pour la ville
voisine. Enfin, "voisine" c’est une
image. À plus de 60 verstes, il
fallait au moins une journée de
troïka pour y arriver, à condition
que le temps ne soit pas mauvais.
Or, cela faisait deux jours, qu’une
tempête de neige clouait Vladimir
sur place. Depuis deux longues
journées, Vladimir attendait une
accalmie, mais rien, aucun signe
d’apaisement ne se profilait. Bien
au contraire, le vent forcissait, le
froid s’intensifiait et la neige,
flocon après flocon, recouvrait
tout.
Chapitre 2 : La livraison
Maintenant, Vladimir ne pouvait plus
reculer et, en dépit des éléments
déchaînés, il avait pris sa décision
: il irait livrer son bois dès
l’aurore. Si les Dieux étaient avec
lui il arriverait peut-être avant la
nuit dans la bonne ville de
Pouglanosk, sinon il lui faudra
attendre dans le froid et
l’obscurité que revienne le jour.
Repousser encore son départ aurait
mis le bûcheron en retard et pour un
homme comme Vladimir la mort était
préférable à un retard.
Les bûches de Vladimir étaient
réputées au-delà de la steppe,
jusque dans la grande ville où les
bourgeois se bousculaient pour
acheter à prix d’or les quelques
rondins qu’il apportait, une fois
l’an lors de la fête de fin d’année.
On disait de ses bûches, qu’elles
étaient les seules qui brûlaient à
coup sûr toute la nuit et qu’elles
donnaient encore des flammes, au
réveil des enfants. Selon la coutume,
une bûche éteinte le matin annonçait
une mauvaise année. Vladimir était
le messager de l’année qui venait.
Aussi n’avait-il pas le droit d’être
en retard, seule la mort, pouvait
excuser un retard.
Et la mort rôdait, Vladimir le
savait. Elle avait déjà frappé très
fort. Elle lui avait volé sa douce
Natacha, le laissant seul avec sept
orphelins. Un pont vermoulu, une
planche qui avait cédé avaient suffi
au triomphe de la mort.
Avant de partir, Vladimir observa
une dernière fois ses enfants. Ils
étaient blottis les uns contre les
autres dans l’unique litière de la
maisonnée. Leur présence lui
réchauffait le coeur et en chacun
d’eux il retrouvait un peu de sa
Natacha. Souvent, il se demandait ce
qu’il leur arriverait si, lui aussi,
venait à disparaître.
Vladimir s’arrêta de penser. Ce
n’était pas le moment de se
décourager, la nourriture était
rare. Il lui fallait se rendre à la
ville rapidement pour livrer et
faire de nouvelles provisions.
Quelques puissent être les risques.
Dans une semaine, il n’aurait plus
rien à donner à manger à ses
enfants. La nuit, qui posait encore
son noir manteau sur les arbres, ne
lui faisait pas peur, pas plus que
le froid. Les loups ? Bien sûr les
loups, mais par ce temps, même les
loups se terraient bien à l’abri.
Enfin, la mort ne frapperait pas une
deuxième fois. Avec Natacha, elle
devait être repue. Elle le
laisserait tranquille, s’était-il
dit pour se rassurer et se donner du
courage.
Chapitre 3 : Le départ
Vladimir secoua son énorme barbe
blanche qui lui recouvrait la
poitrine, quelques miettes de pains
tombèrent sur le sol. Son immense
main saisit la bouteille de Vodka.
Avec lenteur, Vladimir savoura la
chaleur de l’alcool qui glissait
doucement dans son corps. Quand il
reposa le flacon vide, ses joues et
son nez virèrent au rose. Un large
sourire de satisfaction découvrit de
superbes dents blanches faites pour
manger et rire. Vladimir enfonça son
gros bonnet de laine sur ses
oreilles, dissimulant son épaisse
chevelure immaculée comme une
première neige. Il frappa le sol de
ses pieds et s’emmitoufla dans son
lourd manteau rouge.
Tous les bûcherons des alentours
portent le même manteau rouge. En
cas de malheur, il est plus facile
de retrouver une tache rouge au
milieu du désert blanc. Vladimir
regarda une dernière fois ses
enfants. Il aurait aimé les
embrasser. Mais, dans la région, on
dit que ça porte malheur de
s’échanger un "Au revoir".
Avec un pincement au coeur, Vladimir
remit un rondin de bois dans la
cheminée et se dirigea vers
l’entrée. Il tenta d’ouvrir la porte
de son isba. En un clin d’oeil, une
épaisse couche de neige s’engouffra
dans la petite maison. Vladimir
poussa sur la porte, s’extirpa de
l’intérieur, repoussa le battant et
se dirigea péniblement vers
l’écurie. Pas besoin de verrouiller
l’entrée, la neige s’en chargera.
Pour ses enfants, il n’avait rien à
craindre. Malgré leur jeune âge, il
savait qu’ils ne s’aventureraient
pas seuls sur la Taïga. Et puis,
quand bien même, si un voyageur
égaré forçait la porte dans ce lieu
perdu du monde, c’est qu’il avait
plus besoin d’aide qu’il n’était
animé de mauvaises intentions.
La lueur de sa lampe-tempête
dessinait sur les sapins, alourdis
par la neige, la silhouette de
Vladimir, petite, compacte, dotée
d’un embonpoint qui trahissait le
plaisir de manger.
Un dernier sucre suivi d’une tape
amicale à chacun de ses six rennes
qui constituaient son attelage
prépara les animaux pour le grand
voyage. Une ultime vérification du
harnachement, puis Vladimir attela
les animaux à la troïka chargée de
bûches, prête depuis une semaine
déjà. Ensuite, il sauta sur le siège
avant et, d’un simple claquement de
langue, fit s’ébranler le convoi. La
nuit aveugle écouta en silence les
joyeux cliquetis des clochettes du
traîneau.
Le vent hurlait sur la taïga, les
rennes peinaient, mais avançaient.
Le bûcheron rabattit sur son visage
sa chapka et lentement, se laissa
emporter par un demi-sommeil. Les
bêtes connaissaient le chemin.
Vladimir, dans son rêve, voyait les
bûches flamboyer avec mille
étincelles dans l’âtre des bourgeois
de la ville et cette vision
réchauffait intérieurement l’homme
que la neige, maintenant, recouvrait
entièrement.
Chapitre 4 : La rencontre
Brusquement, les rennes
s’arrêtèrent. Les clochettes se
turent. Même le vent était tombé.
Vladimir se réveilla instantanément,
il se secoua et, devant lui,
s’offrait un spectacle incroyable ;
sur cinquante mètres de
circonférence, il n’y avait plus un
arbre, le sol était trempé, boueux
et plus étrange encore il n’y avait
pas un seul flocon de neige sur ce
disque parfait.
Un nuage de vapeur s’élevait encore
de l’endroit, comme si on venait de
poser un énorme fer à repasser sur
cette partie de la forêt. Vladimir
écouta, mais rien ne filtra, pas
même les hurlements du vent. Il
resta deux ou trois minutes ainsi,
sans bouger.
Pendant ces interminables minutes,
Vladimir le sentait, il y avait
quelque chose qui gisait en face
lui. À quelques mètres de lui, un
être en détresse avait besoin de
lui. Vladimir le savait. La solitude
des grands espaces développe des
sens qui ne trompent pas. Peut-être
cette créature invisible
souffrait-elle ? Peut-être
avait-elle besoin d’aide ?
Une seconde, Vladimir voulut
reculer. Mais son instinct lui
ordonna de rester. Alors, il fit un
premier pas vers le cercle, puis un
second. Maintenant, il se dirigeait
d’un pas assuré vers la " chose "
qu’il savait devant lui. Il buta
contre quelque chose d’invisible,
ses mains effleurèrent les contours
de la chose. C’était grand, très
haut, un peu chaud par endroits...
Vladimir se retrouva par terre, tout
à son exploration, il n’avait pas
remarqué une petite butte sur le
sol. Cette fois il fit plus
attention et il vit que les flocons
qui recommençaient à tomber
s’arrêtaient net et semblaient
flotter dans les airs comme s’ils
recouvraient un volume, plus petit,
qui serait sorti de la chose.
Il n’en fallut pas plus pour
Vladimir. Il alla jusqu’à sa troïka
retirer la peau d’ours qui
recouvrait son siège. Il enleva
aussi son énorme manteau rouge qui
le protégeait du froid et déposa les
deux sur la chose. Ensuite, il se
mit à marcher, à marcher en
décrivant un large cercle autour de
l’être imaginaire. Maintenant, il
tournait autour d’une espèce de dôme
recouvert d’une couche d’au moins
dix centimètres de neige.
Ne pas s’arrêter de marcher,
continuer d’avancer jusqu’au bout,
jusqu’à l’épuisement. Vladimir
savait trop ce que signifierait pour
lui et pour l’autre une pause. Si
Vladimir s’arrête, même si l’autre
par miracle se réveillait, sans
Vladimir, par ce froid, il n’aurait
aucune chance de survivre. Vladimir
devait tenir bon pour l’étranger,
être là quand il se réveillerait.
Le vent est moins fort, il fait
presque chaud maintenant, Vladimir
n’a plus froid, la neige qui
s’engouffre dans sa bouche a le goût
de la soupe que lui préparait
Natacha. Vladimir s’écroula dans la
neige, il regarda une dernière fois
vers la " chose ". Il lui semblait
voir son manteau rouge, comme si la
neige qui le recouvrait avait fondu.
Il ferma les yeux, et alors une
véritable chaleur l’enveloppa.
Vladimir avait comme l’impression de
flotter dans les airs, mais il ne
voyait pas Natacha.
Quand le bûcheron se réveilla, il
était arrivé à la ville. Déjà
quelques bourgeois s’approchaient de
la troïka pour choisir leur bûche,
avant que d’autres clients
n’affluent. Dans la bousculade,
personne ne remarqua qu’aucun flocon
ne recouvrait ni Vladimir, ni ses
rennes, ni même sa troïka. Personne
ne s’étonna non plus de la qualité
exceptionnelle des bûches, comme si
elles avaient séché pendant des
années...
Chapitre 5 : Le voyageur
Balt regarda s’éloigner la troïka
qu’il avait enveloppée d’une coque
d’air protectrice. Son sauveur
arriverait ainsi à destination sans
encombre. Le premier qui
s’approcherait de cet homme
crèverait la bulle et Vladimir se
réveillerait comme si rien ne
s’était passé.
Oui, Balt avait transgressé son code
d’honneur. Jamais il n’aurait dû
intervenir dans la vie d’une race
étrangère à la sienne. Pourtant,
sans cet homme, Balt ne serait plus.
Pendant qu’il réanimait Vladimir, Il
en avait profité pour s’informer sur
les êtres qui peuplaient cette
planète hostile. Les quelques
minutes de soin nécessaires pour
sortir Vladimir du coma lui avaient
été riches d’enseignements. Il
croyait désormais en savoir
suffisamment sur la civilisation
terrestre et son degré de
développement pour presser son
départ.
Balt songeait maintenant à la panne
qui l’avait obligé à se poser en
catastrophe et qui, sans
l’intervention d’un " humain ",
l’aurait tué. Il était redevable de
sa vie à un être primitif et jamais
il ne l’oublierait. Malgré son
érudition infaillible, Balt était
cloué à la terre et devait attendre
encore quelques heures que son
vaisseau spatial s’auto-répare. Le
froid à nouveau recommençait à le
glacer. Il lui fallait trouver
rapidement une source de chaleur, un
lieu à l’abri, sinon il allait finir
par mourir congelé sans avoir pu
remplir sa mission.
" Mais comment peut-on vivre dans
des endroits pareils ? " se demanda
Balt.
Chapitre 6 : Le refuge
Son regard explora les environs sur
quelques kilomètres, il finit par
repérer, à l’orée de la forêt,
l’isba de Vladimir. Sur la neige,
des pas s’enfoncèrent et, soudain
une silhouette identique à celle de
Vladimir émergea de la nuit. Le code
de Balt lui refusait le droit de se
montrer aux autres civilisations.
Aussi, lui et son vaisseau
étaient-ils restés invisibles devant
Vladimir, mais ce prodige épuisait
les gens de sa race. Pour le temps
qu’il lui restait à passer sur
Terre, Balt décida de copier la
silhouette de Vladimir.
Il faisait ainsi à son sauveur, un
des plus grands honneurs qu’un
voyageur puisse faire un hôte :
prendre son apparence physique.
En plus par ce truchement, Balt
pouvait, sans transgresser le " Code
", se faire voir d’autres humains.
Balt se dirigea vers l’isba, il
espérait ainsi trouver non seulement
un abri, mais aussi le moyen de
payer sa dette.
Le froid était trop intense, Balt
devait se presser. Il transforma un
mini-vaisseau de secours en troïka
et, sans y songer, décolla. Le
traîneau qui semblait être tiré par
des rennes dépassa, le faîte des
plus hauts sapins et vola vers la
masure que Balt avait repérée.
Pendant le trajet, Balt pensait à sa
famille, à ses amis qui s’étaient
faits congeler en attendant son
retour. Cela faisait six révolutions
de son soleil qu’il était parti,
plus de six mille ans pour nous et
il n’avait toujours pas trouvé la
source de lumière, l’étincelle de
vie qui pourrait rallumer son
soleil.
Quand, Balt avait quitté sa galaxie,
seul un astre rougeaud dispensait à
peine assez de lumière pour
alimenter les surgénérateurs de
congélation. Sa planète qui, jadis,
croulait sous les fleurs, était
aujourd’hui un bloc de glace. Encore
une révolution, et son astre
s’éteindrait à jamais, les
surgénérateurs se déconnecteraient
et, avec eux, tout espoir de réveil
pour sa famille et les derniers
représentants de sa race.
Cet incident mécanique qui lui
faisait perdre un temps précieux, le
contrariait fort, mais le froid qui
perçait son nouveau corps ne lui
laissait pas de répit.
Malgré l’étendue inimaginable de son
savoir, Balt ne pouvait pas tout
connaître et, même s’il avait dérobé
une quantité précieuse de
renseignements à Vladimir lors de sa
réanimation, il ne pouvait pas
encore tout deviner. Quand Balt
doutait, il laissait sa logique
décider pour lui.
Balt posa donc son vaisseau sur le
toit de la maison de Vladimir,
pensant que c’était là qu’il fallait
ranger la troïka. La source de
chaleur qui fumait par la cheminée
semblait indiquer, vu du ciel, la
seule entrée possible.
Chapitre 7 : Les enfants
Pressé de se réchauffer, l’infortuné
voyageur ne prit pas garde. Il
enfonça sa tête dans le conduit,
faillit s’étouffer à cause de la
fumée et tomba la tête la première
dans le conduit. Il se retrouva,
tout couvert de suie, le postérieur
dans les braises, à s’agiter dans
tous les sens pour essayer de se
sortir de cette position
inconfortable. Le vacarme provoqué
par sa maladresse réveilla les sept
enfants qui étaient entassés dans le
même lit. Quand ces derniers virent
celui qu’ils prenaient pour leur
père couvert de suie, ils lui firent
la fête et l’aidèrent à se relever.
Après l’avoir épousseté, ils
l’installèrent à table et lui
donnèrent à manger comme ils le
faisaient chaque fois que Vladimir
revenait d’une journée de travail.
Croyant à un usage de cette planète
et pour ne pas vexer les enfants, le
voyageur avala tout ce qu’on lui
présenta. Quoique étonnés par
l’appétit inhabituel de leur père,
les enfants sortirent tout ce qui
restait et posèrent une nouvelle
bouteille de Vodka sur la table.
Balt sans se méfier but tout
l’alcool qu’on lui présentait. Il
tomba sur la table, ivre mort. Les
enfants pensèrent que leur père
était revenu à cause de la tempête
et qu’il avait attrapé froid. Alors,
ils couchèrent Balt dans leur unique
lit et ils veillèrent sur lui,
plusieurs jours sans manger. Le
voyageur, en un repas, et dans son
ignorance avait ingurgité les
provisions qui auraient duré
normalement une semaine pour cette
pauvre famille.
Quand Balt se réveilla enfin, il
était allongé sur un lit entouré par
sept corps chétifs qui lui servaient
de couverture. Si lui avait chaud,
les enfants par contre tremblaient
de froid dans leur sommeil. Il
sortit du lit sans les réveiller et
il posa sa main sur le front de
chacun d’eux. Il ne mit pas
longtemps à comprendre pourquoi ses
hôtes étaient aussi frêles. Ils
n’avaient déjà pas grand-chose à
manger et lui, Balt le voyageur,
sans le vouloir, avait englouti
leurs dernières provisions.
Balt sortit par où il était entré.
Quelques minutes plus tard, il
revint dans la maisonnette par la
cheminée, car pour lui désormais,
c’était par cet endroit que l’on
pénétrait dans une maison. Il
répandit sur la table des monceaux
de victuailles et remplit la huche
de pain blanc. Il dut faire
plusieurs voyages, mais le résultat
dépassait les espoirs les plus fous
qu’auraient pu faire ses invités
involontaires. La maison croulait
sous les provisions. Balt était là,
à se reposer quand, il reçut enfin
le message qu’il attendait. Son
vaisseau l’informait que la panne
était réparée et qu’il pouvait
reprendre sa quête.
Le voyageur aurait voulu en faire
plus, mais il avait déjà trop tardé.
Il s’apprêtait à reprendre sa quête
quand sa jambe droite fut ébranlée
par une petite secousse.
Chapitre 8 : La découverte
Notre visiteur qui croyait avoir
attaché son pantalon à une écharde
tira, tira et, finalement, se
retourna pour voir le plus jeune des
sept enfants lui faire un sourire
comme jamais il n’en avait vu. Balt
n’avait pas voulu provoquer chez cet
enfant fragile un sommeil trop
profond qui aurait pu être fatal.
Mais, du coup, l’enfant s’était
réveillé trop tôt. Ému par le
sourire du garçonnet, Balt resta un
moment à contempler l’enfant qui
tournait autour de la table comme un
feu follet.
À chaque fois que le regard du
visiteur croisait celui du petit, il
lui semblait apercevoir
l’inaccessible. Dans ses yeux
brillait une lueur de joie, une
étincelle de vie qui dépassait, par
sa pureté, toutes les sources
lumineuses qui lui avaient été
données jusqu’alors de contempler. À
cet instant, le visiteur pleura. Il
savait qu’il venait de trouver ce
qu’il cherchait depuis des siècles :
les étincelles de joie qui
brillaient dans les yeux de l’enfant
valaient toutes les sources de
lumière de l’univers.
D’un geste tendre, il capta cette
lumière et la déposa doucement dans
un écrin qu’il gardait toujours sur
lui, pour le moment où, enfin, il
trouverait sa " Lumière ".
Le coffret se mit à briller de mille
feux. On voyait dans la pièce comme
en plein jour, si bien que les six
autres frères, un à un, se
réveillèrent. En découvrant leur
table recouverte de vivres, leurs
coeurs s’emplirent d’une joie
immense. Ils offrirent à notre
voyageur, le plus beau des cadeaux
qu’on puisse recevoir d’un enfant :
une étincelle de Bonheur.
Notre voyageur comprit, cette
nuit-là, comment il allait sauver sa
civilisation. Il recueillit, l’une
après l’autre les lueurs de Bonheur
des enfants et s’envola dans sa
troïka avec sept paires d’étincelles
de naïveté, sept paires d’Etoiles de
Bonheur. Il regagna son vaisseau et
retourna chez lui pour raviver son
soleil presque éteint.
Chapitre 9 : Le Père-Noël
Malgré la rapidité de son vaisseau,
Balt mit six de nos mois avant
d’arriver chez lui. Il lui en fallut
encore six autres pour revenir
l’année suivante, le même jour à un
an d’intervalle, pour refaire une
nouvelle récolte. Son soleil avait
besoin d’étincelles de vie et, lui,
désormais savait où les trouver.
Bien sûr, au fil des années Balt
aurait pu changer d’aspect, laisser
la troïka pour un vaisseau plus
moderne, ou rester invisible, mais
pour Balt, le moins qu’il se devait
de faire pour remercier son sauveur,
c’était de conserver l’apparence
physique de Vladimir.
C’est pourquoi chaque fois qu’il
retourne sur Terre, Balt prend
toujours l’aspect d’un bûcheron des
régions froides.
C’est ainsi que depuis cette
rencontre, tous les ans, la nuit de
Noël un visiteur que nous avons
baptisé le " Père Noël ", dépose
devant chaque cheminée un cadeau
pour les enfants.
En échange, il récolte les
étincelles de bonheur que seuls, les
enfants qui croient encore au Père
Noël peuvent offrir. Ce sont celles
qui feront dans le ciel, les plus
belles étoiles. Ensuite, il retourne
dans son monde à lui et sème ces
étincelles de vie dans son soleil et
dans l’espace.
D’ailleurs, si vous regardez bien,
le lendemain de Noël, vous verrez
que le ciel brille plus fort. C’est
que Balt, " le Père Noël " a fait
une bonne récolte. Si d’aventure,
vous voyez une étoile qui ne brille
plus, c’est un peu triste, car cela
signifie qu’un enfant ne croit plus
au Père Noël et qu’il a déjà perdu
un peu le goût au Bonheur.
Voilà, maintenant vous savez tout
sur le Père Noël : pourquoi il a une
barbe blanche, un habit rouge, un
gros ventre, pourquoi il entre par
la cheminée plutôt que par la porte
et pourquoi il nous apporte des
cadeaux.
Alors, de grâce, Mesdames et
Messieurs les Parents ! Cessez de
dire à vos enfants que le Père Noël
n’existe pas. L’univers a besoin de
leur Bonheur pour éclairer la
galaxie de Balt et de bien d’autres.
Et vous, enfants, quand vous
recevrez vos cadeaux, ayez une
petite pensée pour Vladimir et Balt,
émerveillez-vous.
Auteur : Miguel Dey |