Chaque rnatin, Claire transportait de nombreux fruits dans
sa boîte à lunch en se rendant à l'école, au grand bonheur de sa mère qui se
réjouissait de voir sa fillette se délecter d'autant de bons éléments santé.
Elle ignorait qu'assis sur le trottoir de la rue Sainte-Catherine, l'itinérant
Tom tendait la main aux passants dans l'espoir d'obtenir quelques sous.
Déambulant devant le quêteur, la petite fille en était venue à lui offrir
quotidiennement une pomme, ou des raisins, ou une banane, ou encore une
clémentine et un kiwi, prélevés dans son contenant.
La fierté maternelle dura jusqu'au jour où la mère accompagna Claire sur la même
rue pour ne pas rater un rendez-vous important dans le quartier. Elle n'en
revenait pas d'apercevoir sa fille faire halte devant un inconnu pauvrement vêtu
qui I'accueillit en l'appelant : « Ma belle Claire d'amour ».
- Mais qui êtes vous donc, monsieur ? lui demanda la
mère, l'air inquiet.
- Vous Ie voyez bien, je suis le grand ami de votre
charmante fille, madame.
La femme s'arrêta et se mit à jaser avec l'homme
sympathique qui n'en finissait plus de raconter sa vie. Ayant été dès I'enfance
séparé de ses parents, il était passé d'une famille d'accueil à l'autre, avait
fait l'école buissonnière et s'était retrouvé en fin de compte dans un centre
Jeunesse. Mis à la porte à l'âge de dix-huit ans et ne sachant ni lire ni
écrire, il n'avait pas réussi à se dénicher un emploi. Il avait alors erré ça et
là entre différents refuges, vivant depuis près de vingt ans de la générosité
des piétons.
Durant cette longue conversation entre le sans-abri et
sa maman, à laquelle Claire ne comprenait pas grand-chose, I'enfant fut dans
l'obligation de s'esquiver pour ne pas arriver en retard en classe. Elle salua
sa mère et Tom d'un geste de la main, et s'en fut en courant vers son école.
- Au revoir, maman ! À demain matin, Tom !
Le soir même, la femme fit une grande surprise à sa fille en lui annonçant
qu'elle avait invité Tom au réveillon familial de Noël, après la messe de minuit
ayant dorénavant lieu à huit heures du soir, deux jours plus tard.
- Je lui ai donné notre adresse et lui ai recommandé de
ne pas se présenter avant neuf heures quinze de la soirée, l'heure probable de
notre de l'église.
Claire sauta de joie et se mit en tête de préparer un cadeau de Noël pour son
ami. Mais... quoi lui offrir ? Elle entreprit alors de lui concocter
une douzaine de muffins aux fruits et y ajouta quelques tablettes de chocolat.
Sa mère glissa un billet de vingt dollars au sac d'emballage destiné à Tom et, à
son grand étonnement, même son père y inséra une bouteille de vin.
Lorsque la famille revint de l'église précisément à neuf
heures quinze du soir, Tom ne se trouvait pas à la porte. Ah ? Aurait-il par
hasard
oublié de venir ? Claire faillit se mettre à crier quand elle l'aperçut, dormant
sur le divan du salon, ronflant à tue-tête après avoir dégusté un gros
morceau de la quiche déposée sur le bout de la table dont tous devaient se
régaler pour le réveillon.
Quoi ?!? l'effronté s'était permis de rentrer dans la
maison et de dévorer une partie du repas ?
Le père de Claire le tira par l'oreille et le poussa
vers la sortie.
- Hors d'ici, maudite fripouille !
- Oh ! Excusez-moi, monsieur. Je suis arrivé quinze
minutes avant l'heure, je l'admets, et j'ai sonné de nombreuses fois. Comme
personne ne me répondait, j'allais partir quand, par hasard, j'ai tourné la
poignée et la porte s'est ouverte toute seule. Comme j'avais froid, j'ai décidé de vous attendre à
l'intérieur.
- Comment cela, l'entrée n'était pas fermée à clé ?
- C'est moi qui l'ai débarrée quand nous sommes sortis,
papa, avoua Claire. Je craignais que nous revenions en retard.
- Dehors, vieux rat ! lança le père furieux. Tu n'avais
pas d'affaire à pénétrer chez nous et à avaler une partie de notre repas, espèce
de salaud !
- Hé! mon mari, protesta la mère, c'est Noël ! Ne
peux-tu pas pardonner à ce pauvre type gelé et affamé, et tout seul au monde ?
Noël n'est-ce pas la fête de l'amour et de la clémence ?
Au grand bonheur de Claire, le paternel regarda sa
femme et poussa un long soupir, puis il posa une main accueillante sur l'épaule
de Tom en lui indiquant qu'il ne lui en voulait plus et qu'il pouvait rester.
La fillette s'arrêta aussitôt de pleurer et se jeta dans les bras du sans-abri
tout ému. Même s'il ne reçut qu'une toute petite pointe de quiche
pour entamer le repas, Tom attaqua par la suite la dinde, la gelée de
canneberges, les patates pilées et la bûche en chocolat à bouchées doubles.
Quelques minutes plus tard, lorsque chacun déballa un
cadeau cueilli au pied de I'arbre, Tom reçut le sien avec un sourire
indescriptible et ne cessa de remercier tous et chacun, les larmes aux yeux.
Puis, à l'étonnement de toute la famille, il se leva et retira, de dernière le
divan, un paquet mystérieux pour l'offrir aux parents de Claire. Il contenait le
portrait d'une petite fille avec une pomme dans la main, tracé au crayon noir
sur du papier blanc et maladroitement fixé dans un vieux cadre peinturluré d'or.
- Je l'ai exécuté moi-même, affirma l'itinérant, il
représente Claire que j'ai le bonheur de rencontrer chaque matin.
Tous s'exclamèrent d'admiration et de joie. Le dessin
était tellement bien fait qu'on pouvait identifier facilement la fillette. On
l'installa avec grand plaisir au-dessus de la cheminée dans laquelle le père
avait allumé un grand feu. Quand vint le moment d'aller se coucher, à la grande
surprise de tous, la mère de Claire offrit à Tom de dormir sur le divan, ce
qu'il accepta avec plaisir.
Le lendemain matin, il avait disparu avant même que
chacun ne se lève. La fillette ne le revit qu'après les vacances de Noël, assis
sur le trottoir de la rue Sainte-Catherine, la main tendue pour solliciter la
bonté des passants. Leur joie de se retrouver fut grande, pour Claire et Tom,
assurés qu'une véritable amitié régnerait dorénavant entre eux.
Cette amitié durable représenta leur plus beau cadeau de
Noël,..
Joyeux Noël à tous
Micheline Duff 2019
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