En ce soir enneigé du début de décembre, Amélie, la nouvelle blonde de mon fils, se présenta les yeux rougis et la tête basse au traditionnel souper familial du dimanche soir. Personne n’osait la questionner sur les raisons de sa détresse. En bonne et éventuelle « future belle-maman », je tentai, mine de rien et avec mes questions, d’ouvrir la porte à des confidences qui la soulageraient sans doute. Quand il fut question des festivités de Noël, j’osai m’enquérir au sujet de sa famille. Qui sait si le mal ne venait pas de là.

― Et toi, Amélie, dis-moi comment Noël va se passer chez toi ?

― Oh ! chez nous, ça devrait être agréable. Mais pour mon amie Jolianne, par contre, ce sera autre chose…

Étranglée de sanglots, la jeune fille mit un certain temps avant d’ouvrir son cœur en me jetant un regard désespéré.

― Le mari de ma copine l’a sauvagement battue, avant-hier, et les policiers ont dû la conduire à l’hôpital où on a mis son bras dans le plâtre et soigné de nombreuses autres blessures moins graves. Puis on l’a transportée avec son petit Justin dans une résidence pour femmes battues. Elle y demeurera tant et aussi longtemps que le type ne sera pas sous arrêt et derrière les barreaux. Sans doute devra-t-elle passer Noël à cet endroit, elle qui, sans parents et élevée dans de nombreux foyers d’accueil, avait l’habitude de se joindre à nous pour les Fêtes.

Spontanément, mes quatre enfants se sont approchées d’Amélie, l’une de mes filles tentant de la réconforter par des mots gentils, l’autre lui présentant un papier-mouchoir, la troisième posant sur son épaule une main se voulant apaisante. Quant à mon fils, déjà au courant, il regardait la scène d’un air découragé, déçu de n’avoir pas trouvé lui-même les mots consolateurs pour sa chère Amélie.

D’une voix douce, j’ai essayé d’élaborer des plans et d’en discuter avec elle.

― Et si on invitait ton amie Jolianne chez-nous, à Noël ?

― Non, non, elle n’aura malheureusement pas le droit de sortir de là, même si c’est Noël. Je dirais même : justement parce que c’est Noël. Tout ça par mesure de précaution, des fois que son fou de mari, actuellement disparu, déciderait de la retrouver et de se venger.

― On ira la voir, alors !

― Impossible ! Même moi, j’ignore où elle se trouve. Je pense qu’elle ne le sait même pas elle-même ! Je n’ai qu’un numéro de téléphone pour la rejoindre, rien de plus. Jolianne passera Noël toute seule avec son bébé, enfermée dans ce lieu comme dans une prison, sans cadeaux ni visiteurs, et complètement démunie face à l’avenir. Mais c’est préférable ainsi, je pense. Son mari semble devenu dangereux. J’ai tellement peur pour elle, oh ! si vous saviez !

Amélie s’est remise à pleurer, et nous avec elle.

― Donne-moi son numéro de téléphone, ma chouette. Je vais voir ce qu’on peut faire.

― Je n’ai pas le droit de vous le donner.

― Je vais seulement prendre des informations auprès des autorités, d’accord ?

Quelques jours plus tard, j’ai organisé un conseil de famille sans la présence d’Amélie. Après maints pourparlers avec la direction du Refuge pour femmes en difficulté, j’ai obtenu l’autorisation de faire parvenir des cadeaux à Jolianne, la veille de Noël. Pas question, cependant, de lui en apprendre la provenance, toute ma famille l’a décidé d’un commun accord. Pas question non plus d’en informer Amélie, la blonde de mon fils. Tout devrait se passer de façon parfaitement anonyme.

Ma fille la plus jeune s’est offerte pour aller à la pharmacie acheter quelques produits de beauté dont rêvent toutes les jeunes femmes. Sa sœur décida de faire l’acquisition de quelques vêtements à la mode pour Jolianne, l’aînée s’occuperait des jouets et moi des vêtements pour le petit Justin, âgé de seize mois. Mon fils, quant à lui, achèterait un assortiment de couches tandis que mon mari prendrait en charge la livraison à l’adresse que l’on m’a remise, mais qui n’est pas celle de la résidence pour femmes battues. Qu’importe ! On me jura que les cadeaux allaient être remis directement à Jolianne le même jour, quelques heures après notre passage.

Il n’existe pas de mots pour décrire la ferveur et l’enthousiasme avec lesquels nous sommes partis, chacun de notre côté, pour tout choisir avec minutie et emballer joliment les cadeaux qui rendraient une jeune femme heureuse. Personne ne pourrait voir le résultat de ses efforts sur le visage de Jolianne que nous ne connaissions même pas, mais cela n’avait pas d’importance ! La joie de donner nous emportait tous…

La veille de Noël, je n’ai pu, évidemment, résister à l’envie d’accompagner mon mari pour aller porter la montagne incroyable d’étrennes qui entraient à peine dans la wagonnette tant elles étaient nombreuses. Cet après-midi-là, mon émoi atteignit son comble. Sur la rue Papineau, une panne d’électricité avait éteint les feux de circulation et ralenti passablement le trafic. Chaque fois que la voiture ralentissait ou accélérait, j’entendais s’actionner la clochette de l’énorme camion de pompier destiné à l’enfant. Je n’oublierai jamais ce bruit joyeux, symbole de joie. Aujourd’hui, après plusieurs années, quand j’entends tinter la cloche d’un camion jouet de pompier, j’y songe encore !

Une fois à l’adresse indiquée, j’ai aidé mon mari à remettre les boîtes entre les mains de l’homme qui nous attendait à la porte d’une maison anonyme.

― Wow ! s’est-il écrié, êtes-vous allés dévaliser le traîneau du père Noël, coudon ?

La même nuit, ce fut la fête chez nous avec trente-cinq invités, incluant le père Noël qui se montra aussi généreux qu’à l’accoutumée. Amélie se pointa au bras de mon fils avec le sourire le plus radieux jamais vu sur terre. Elle oublia même de nous souhaiter Joyeux Noël tant elle avait hâte de nous annoncer la bonne nouvelle.

― Vous savez pas quoi ? Jolianne vient tout juste de me téléphoner pour me dire qu’elle et son petit viennent de recevoir plein de magnifiques cadeaux de Noël.

J’ai retenu mon sourire et me suis écriée, le plus sérieusement du monde :

― Ah oui ? Comment ça ?

― Personne ne sait d’où tout cela provient. On lui a expliqué que des familles s’occupent parfois, anonymement, de gens malheureux comme elle… Sur la carte accompagnant les cadeaux, c’était inscrit : « Ne t’inquiète pas, l’avenir te réserve des Noëls plus joyeux … Mais pour celui de maintenant, sache que tu n’es pas toute seule au monde, quelqu’un pense à toi. Heureux Noël, malgré tout. » La seule signature consistait en un grand cœur rouge dessiné à la main.

― Oh là ! là ! Amélie, quelle bonne nouvelle !

― Vous savez quoi ? Tout ça me rend tellement heureuse, vous n’avez pas idée. C’est comme si je venais de recevoir moi-même le plus beau de mes cadeaux de Noël.

Dieu merci, les clins d’œil échangés entre mes trois filles et la larme que mon fils a furtivement essuyée sur le coin de son œil ont échappé à Amélie. Ce sont les réclamations joyeuses de mes petits-enfants qui ont ramené tout le monde à une réalité plus terre-à-terre. La dinde sentait trop bon, ils ne pouvaient plus attendre avant d’y goûter !

Le lendemain, j’ai reçu un appel de la directrice du refuge.

― Je voudrais vous dire, madame, que vous avez réussi à faire pleurer de joie une jeune femme en détresse. Vous avez transformé le pire Noël de sa vie en un Noël d’espoir. Je vous remercie en son nom.

Cette histoire a réellement été vécue par les miens, il y a quelques années, et ni Amélie ni Jolianne n’ont jamais appris la vérité. Qu’importe, cette année-là, les deux amies ont passé, grâce à nous, un joyeux Noël. Un Noël en forme de cœur…

Joyeux Noël !

Micheline Duff (2012)

www. michelineduff. com

 

 

Source : Micheline Duff
Contes de Noël pour les grands au cœur d’enfant


 

J'ai reçu l'aimable autorisation de Madame Duff de publier ses contes

 

 

 


Copyright (Au Jardin de l'amitié) © 2013 Tous droits réservés

D'après le tutoriel de ABC