- Maman ! Maman ! Le Père Noël !

Il faisait nuit et Maman accrochait sa veste au portemanteau. Elle venait de rentrer du travail. Elle a soupiré :

- Tu es bien excitée, Chloé… Qu’est-ce qui se passe ?

- C’est Valentin ! À la cantine ! Il a dit que le Père Noël n’existait pas. Il ment ! Hein, Maman, il ment ?

- Ma chérie, a murmuré Maman, tu es une grande fille maintenant. Tu as l’âge de comprendre, même quand c’est compliqué. Alors oui, ou plutôt non, enfin bref : il y a des gens qui croient que le Père Noël existe et d’autres qu’il n’existe pas. Chacun croit dans ce qu’il veut, c’est comme ça.

C’était une pensée si nouvelle que je me suis mise à courir dans le couloir en battant des bras.

- Mais alors, s’il n’y a pas de Père Noël, qui apporte les cadeaux.

- Les grandes personnes, a répondu Papa.

- Elles ont une barbe blanche, un traîneau, des rennes et tout ça ?

- Non, elles portent leurs habits de tous les jours et elles vont dans les magasins.

- Les papas, les mamans, les grands-parents, les oncles et les tantes…, a énuméré Maman.

- Sûrement pas Tante Clara ! ai-je crié.

Que certains parents soient assez bêtes pour aller acheter eux-mêmes des cadeaux dans les magasins, c’était possible. Mais pas Tante Clara. Non, Tante Clara, c’était impossible.

J’ai attendu le jour de Tante Clara. C’est le mercredi. Elle vient chez nous pour aider mes parents. Souvent elle range, quelquefois elle repasse. En plus, elle me garde.

- Tante Clara, ai-je dit, tu es assez grande pour comprendre les choses compliquées…

- Certainement, a fait Tante Clara.

- Eh bien tant pis pour toi… Valentin croit que le Père Noël n’existe pas !

Tante Clara a appuyé le fer de toutes ses forces sur la chemise bleue de Papa. Un énorme nuage de vapeur est monté de la table à repasser.

- Qu’est-ce qui s’est passé ? Il a démissionné ?

Elle m’a regardée en fronçant les sourcils.

- Ou alors il est mort… Personne ne m’a rien dit. C’est bizarre, cette histoire. Je vais me renseigner. De ton côté, questionne tes parents. Ils savent sans doute des choses que nous ignorons. Tes parents sont des gens sérieux. Ils ne te raconteraient pas n’importe quoi, n’est-ce pas ?

J’ai attendu l’heure du dîner pour commencer mon enquête.

- Est-ce que le Père Noël est mort ?

Papa a regardé Maman.

- Clara est venue repasser ?

- Oui, a dit Maman en haussant les épaules.

Papa s’est alors tourné vers moi.

- Non, ma chérie, le Père Noël n’est pas mort. Quelqu’un que personne n’a jamais vu ne peut pas mourir.

- Il a démissionné ?

- Écoute quand je te parle ! Puisque je te dis qu’il ne peut pas mourir… il ne peut pas démissionner non plus…

- Voilà au moins une bonne nouvelle, a constaté Tante Clara le mercredi suivant. Il est vivant ! Je ne comprends pas comment on peut dire d’un type en parfaite santé, et qui travaille, qu’il n’existe pas… J’espère que tu n’as pas inquiété tes parents avec tes questions. Tu les connais, ils s’affolent pour un rien. Souviens-toi de la fois où ils t’avaient perdue à la piscine…

- C’est vrai. Je dois toujours faire attention à eux. Sinon, ils se font du souci et ils sont malheureux.

Tante Clara a passé la main dans mes cheveux.

- Trésor de douceur ! Tout le monde rêverait d’avoir une fille comme toi. Je me demande si tes parents mesurent la chance qu’ils ont. Heureusement que le Père Noël est au courant.

Ensuite nous avons écrit ma lettre. J’ai demandé un petit moulin pour jouer dans la baignoire. Sur l’enveloppe, j’ai écrit : « Père Noël ». Ça suffit. C’est une adresse universelle. Et Tante Clara m’a donné un timbre.

Tante Clara a une photo du Père Noël. Elle me l’a montrée sur son téléphone portable. Il a une barbe blanche et des yeux rieurs. On ne peut pas se tromper. C’est lui.

- Tu peux être sûre que ton Valentin n’a jamais vu cette image, a-t-elle soupiré. Un tas de gens parlent de ce qu’ils ne connaissent pas, c’est effarant…

Le soir de Noël, j’ai deviné que certains cadeaux avaient été achetés dans les magasins : ils étaient emballés dans un papier professionnel brillant et entourés de rubans frisés. Il faut dire aussi que Papa s’était dénoncé tout seul :

- J’ai trouvé un jeu très marrant qui apprend aussi à lire et à compter. Je te l’installerai sur l’ordinateur.

Son paquet était petit et plat. Je l’ai ouvert pour lui faire plaisir.

- Ah ! Un jeu pour apprendre !

Comme je n’avais pas d’autre idée de remerciement, je me suis dépêchée d’ouvrir le cadeau de Mamie et Papi. Au moins, la boîte était grande.

- Oh ! Un puzzle !

J’ai ajouté : - Un très grand puzzle…

- Mille pièces ! a fait Papi avec une figure réjouie, mais il était tout seul à se réjouir.

Il restait un paquet sur le tapis, emballé dans un vieux papier journal et couvert de poussière noire.

- J’ai trouvé cette boîte devant ma cheminée, a dit Tante Clara. Quelqu’un a dû la déposer pour toi… Ouvre-le doucement, petite perle, attention à la suie…

C’était un joli petit moulin en bois pour jouer à l’eau dans son bain.

- Je crois même qu’il fait des bulles, a remarqué Tante Clara quand je me suis jetée dans ses bras.

Et elle m’a chuchoté dans l’oreille :

- Tu pourras le dire à Valentin : pour quelqu’un qui n’existe pas, il faut reconnaître que ce vieux type se débrouille drôlement bien, non ?

Une histoire écrite par Marie Desplechin.


Source : Enfants.com
 

 

 

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