Pour Noël, Maman prépare une fête et Papa achète un sapin. Il va chercher la boîte des décorations en haut du placard. Ensuite, il me demande de l’aider à accrocher les boules et les guirlandes dans les branches. J’aime beaucoup ce moment, quand nous sommes tous les deux devant le sapin, c’est mon moment préféré.

J’étais en train de suspendre des étoiles sur les branches les plus basses, quand j’ai vu par la fenêtre un pigeon qui nous regardait. Ce n’était qu’un gros pigeon à l’air stupide, mais il faisait nuit dehors, et froid, et une pensée m’a traversée.

- Et les animaux ? ai-je demandé.

- Quoi les animaux ? a fait Papa.

Il était debout sur un tabouret et il essayait de planter une grosse flèche argentée sur le sommet du sapin.

- Qui s’occupe du Noël des animaux ?

- Mon poussin, a dit Papa, les animaux sont des animaux. Et il a poussé un petit cri de joie car il avait réussi à placer la flèche en équilibre.

Les animaux sont les animaux. C’était bien une réponse de Papa. Ce n’est pas qu’il se trompe. Mais ce qu’il dit ne sert à rien.

- Et les animaux ? ai-je demandé à Maman le soir même.

- Ah non ! a soupiré Maman. Tu ne vas pas recommencer à te tracasser ! Après les cadeaux, ce sont les animaux… Tu m’épuises !

- Et les animaux ? ai-je demandé à Mamie le dimanche.

- On les mange, a répondu Mamie. Des huîtres, des escargots et une dinde aux marrons. Miam.

- Et les animaux ? ai-je demandé à Tante Clara le mercredi.

- Le Père Noël des animaux leur offre des cadeaux d’animaux, a répondu Tante Clara. Occupe-toi de tes affaires.

- J’aimerais bien être invitée à un Noël animal, ai-je dit.

- Moi aussi, figure-toi, a répliqué Tante Clara. On risque d’être un peu déçu côté cadeaux, mais pour le reste je suis sûre qu’on s’amuse beaucoup.

Maman a raison : quand j’ai commencé à me tracasser, je ne peux plus m’arrêter. On aurait dit que le monde autour de moi était envahi par les animaux. Je ne voyais plus qu’eux. Les oiseaux dans la rue, les chiens sur les trottoirs, le chat dans la loge de la gardienne, les éléphants à la télévision et même les poux dessinés sur le flacon de shampoing dans la salle de bain. Toutes ces bêtes… Et personne pour les fêter. Quelle tristesse ! Je pensais tellement aux animaux que je n’arrivais plus à me réjouir. Je trouvais Noël injuste. Je trouvais Noël minable.

La fête approchait et il y avait encore de la soupe au dîner.

- Quand je serai grande, je m’occuperai des animaux, ai-je annoncé.

- Tu seras vétérinaire ? a demandé Maman.

- Non, je serai fermière. Je donnerai du grain à mes poules, du foin à mes vaches et des carottes à mes chevaux.

- Parfait, a dit Papa en tournant sa cuillère dans son assiette. Tant que tu ne donnes pas de riz à ces affreux pigeons…

Quand il ne le fait pas exprès, il arrive à Papa de dire des choses utiles.

- Tu ne dis plus rien ? a demandé Maman.

- Je pense à ma ferme, ai-je répondu.

Ce n’était pas vrai. Car je pensais bien sûr à la meilleure façon de voler du riz dans la cuisine…

- C’est quand même bizarre ! a fait Maman. J’étais sûre d’avoir acheté du riz…

Je suis devenue toute rouge. Par chance, elle ne pouvait pas me voir. Elle avait tout le haut du corps fourré dans le placard.

- Tant pis, a-t-elle dit en sortant du placard. Vous mangerez des pâtes.

- Encore des pâtes ? ai-je protesté pour avoir l’air normal.

- Oui, avec de la soupe en entrée.

Je n’ai rien dit, mais de la soupe tous les soirs, c’était exagéré.
J’ai caché le riz derrière la boîte du Monopoly, dans un sac en plastique. J’avais aussi un vieux paquet de biscuits et deux os de poulet récupérés dans la poubelle de la cuisine. C’était la Grande Préparation du Noël des Animaux.

Le lendemain, dans l’après-midi, j’ai pris mon blouson et je suis sortie dans la rue. J’avais à peine ouvert mon paquet de riz que je me suis retrouvée au milieu d’un tourbillon d’ailes et plumes. Ils arrivaient de partout, de toutes les corniches et de tous les toits. On aurait dit qu’ils m’attendaient. J’ai jeté une poignée de riz par terre et j’ai crié :

- Joyeux Noël, les pigeons !

Quand j’ai eu fini de renverser mon riz, j’ai posé par terre les os et les biscuits.

- Ne mangez pas tout ! C’est pour les chiens !

Mais les pigeons ne m’écoutaient pas du tout. Ils étaient trop occupés à picorer.

- Où étais-tu ? m’a demandé Maman.

- Je suis sortie cinq minutes, pour voir s’il faisait froid.

- Bien sûr qu’il fait froid, zozotte ! C’est Noël ! a souri Maman en me passant la main sur la tête. Tiens, regarde, dans tes cheveux, une petite plume… Tu as rencontré un ange ?

Une histoire écrite par Marie Desplechin.


Source : Enfants.com

 

 

 

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