- Ce n’est pas tout d’attendre des cadeaux assis à côté d’un sapin. S’asseoir et attendre, n’importe quel porcelet peut le faire. Est-ce qu’on fête Noël chez les porcelets ? Pas à ma connaissance. Non, les fêtes n’ont pas été inventées pour que les enfants se comportent comme des animaux. Elles existent pour leur offrir l’occasion de se conduire comme des anges. Voilà la vérité. Et les cadeaux viennent en plus. Il y a des gens qui aiment parler tout seuls pendant des heures.

- Tu es d’accord avec moi ? m’a demandé Mamie.

- Oui, oui…

- Est-ce que tu comprends seulement ce que je te dis ?

Elle me regardait avec curiosité. Elle ne pense pas que je suis petite, elle pense que je suis bête. La voilà, la vérité.

- Comment on fait pour se comporter comme les anges ?

- On fait comme eux, on les imite.

- On met des ailes ?

Là, elle a vraiment cru que j’étais idiote.

- On est gentille, petite bécasse ! Avant de penser à recevoir des cadeaux, on pense à en offrir !

- Qui t’a mis cette idée dans la tête ? a soupiré Maman. Tu es trop petite ! Ce sont les parents qui offrent des cadeaux aux enfants, pas l’inverse.

- Je croyais que c’était le Père Noël…

- Mais je t’ai déjà dit…

- Que certaines personnes croient que le Père Noël n’existe pas, je sais. Je croyais que c’était le Père Noël qui n’existe pas qui s’en occupait.

- On ne peut pas parler avec toi ! a dit Maman. Puisque tu sais tout mieux que tout le monde, débrouille-toi.

Comme j’avais beaucoup de lettres à écrire, j’ai commencé par réfléchir. Ce n’était pas la peine de s’embêter pour Papa et Maman. Ils ne sont pas très sûrs que le Père Noël existe. Qu’ils achètent leurs cadeaux. Pas la peine de s’embêter pour Tante Clara. Elle croit que le Père Noël existe. Elle peut lui écrire sa lettre. Pas la peine de s’embêter pour Papi. Les cadeaux ne l’intéressent pas. La preuve, il reçoit tous les ans la même bouteille de parfum emballée dans la même boîte. Mamie est la seule personne qui veut vraiment qu’on s’intéresse à elle. C’est son idée de la gentillesse. Mais qu’est-ce qu’on peut demander au Père Noël pour Mamie ? Les grandes personnes n’ont plus besoin de jouets, sans compter qu’elles ont tout l’argent de poche qu’elles veulent bien se donner. Alors ? Alors, le mieux c’était encore de le lui demander.

- Ma petite fille, a fait la voix de Mamie, c’est à toi de trouver. Savoir deviner le cadeau qui fait plaisir, il est là, le secret de la gentillesse.

J’ai raccroché le téléphone et j’ai pensé que je n’y arriverai jamais.

- Maman, ai-je demandé, est-ce qu’on peut supprimer Noël ? Juste pour cette année ?

- Mais enfin, cocotte, tu es tombée sur la tête ou quoi ?

C’était la catastrophe. Noël obligatoire et pas de cadeau pour Mamie. Même pas une petite idée pour l’écrire au Père Noël. J’étais un porcelet.

Je me suis sentie triste pendant deux jours. La maîtresse a vu à ma figure que je me faisais du souci.

- Ça ne va pas, Chloé ?

- Je n’ai pas d’idée de cadeau pour ma grand-mère.

- C’est tout ?

- Oui, c’est tout.

L’après-midi, elle nous a donné du papier, de la colle et de la peinture pour fabriquer du papier mâché. Elle m’a fait un clin d’œil en passant à ma table et elle a annoncé :

- Atelier cadeau pour tout le monde !

Chaque enfant a choisi l’objet qu’il voulait fabriquer. Des grosses perles pour faire des colliers, ou des petites boîtes pour ranger des choses, ou même un faux cendrier pour décorer.

- Et toi ? m’a demandé la maîtresse.

Le soir de Noël, j’ai donné mon petit paquet à Mamie.

- C’est le Père Noël ? m’a-t-elle demandé.

- Ah non ! ai-je répondu. C’est moi.

Mamie a déchiré le beau papier d’emballage que nous avait donné la maîtresse.

- Oh ! a-t-elle fait. On dirait un cochon… Ça, pour être rose, il est rose ! Quelle drôle d’idée !

- C’était trop difficile de faire un ange, ai-je dit. À cause des ailes.

Mamie a posé le porcelet sur le bras de son fauteuil et elle s’est dépêchée d’ouvrir le grand paquet que lui tendaient mes parents. C’était un sac à main. Elle en a perdu la tête de bonheur. Elle jouait avec le fermoir en répétant : « Comme c’est beau, comme c’est beau… » Mon cadeau est tombé du fauteuil. Elle ne l’a même pas remarqué. Elle ne s’intéressait plus qu’à son sac. Elle avait tout oublié, les anges, la gentillesse, et mon porcelet.

Maman l’a ramassé sur le tapis. Elle a regardé ses petits yeux noirs et sa queue en tire-bouchon.

- Comme il est drôle ! Il me rappelle une histoire que ta Mamie me racontait quand j’avais ton âge. C’était à propos d’enfants, d’anges et de porcelets… Et ça se terminait toujours de la même façon : elle était l’ange et j’étais le cochon !

J’étais si contente d’apprendre que Maman avait été porcelette avant moi que mes joues sont devenus brûlantes et rouges. Elle a rigolé et elle m’a prise sur ses genoux.

- Oh ! Je l’adore, ce petit cochon ! Il est trop joli ! Promets-moi une chose ! Si Mamie l’oublie, tu me le donnes ! Alors, c’est oui ?

J’ai dit oui.

- Dans ce cas, on va l’aider à rester chez nous…

Maman a glissé le cochon sous le canapé. Quand il a été bien caché, elle a posé l’index sur ses lèvres et elle s’est penchée vers moi.

- Ma petite chérie, a-t-elle murmuré dans mon oreille, tu es tellement gentille. Tellement, tellement gentille…

Une histoire écrite par Marie Desplechin.


Source : Enfants.com

 

 

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