- Allez viens ! a
dit Papa en me
donnant mon blouson.
Tu as sûrement envie
de sortir t’aérer.
- Ah non. Pas du
tout. Il fait froid.
En plus, il pleut.
- Ma fille chérie
n’a pas peur du
froid ! a insisté
Papa.
Il s’est penché vers
moi et il m’a fait
un gros clin d’œil.
J’ai tapé du pied.
- Non !
Mais il a attrapé ma
main et il m’a
traînée jusqu’à la
porte.
- Du calme ! a-t-il
chuchoté. On va
acheter un cadeau
pour Maman…
Papa a garé la
voiture au parking
souterrain. Ensuite,
il a marché pendant
des heures dans le
grand magasin. Il
regardait les
marchands de sac,
puis les marchands
de montres, puis les
marchands de bijoux,
puis les marchands
d’écharpes. Je
marchais derrière
lui et j’avais envie
de m’évanouir.
- Papa, j’ai faim !
- Tout à l’heure,
chérie…
- Papa, je suis
fatiguée !
- Un peu de
patience, s’il te
plaît…
- Papa, j’ai envie
de faire pipi !
- Tu peux bien te
retenir cinq
minutes…
- Papa, je veux
m’asseoir ! Ou alors
je me couche par
terre et je pleure !
- Si c’est comme ça…
a soupiré Papa, je
chercherai sans toi.
Tu m’attendras au
rayon des jouets.
- Je reviens dans
une demi-heure,
a-t-il dit à la
jeune fille du coin
garderie. Ah oui,
elle s’appelle
Chloé.
- Viens ma petite
Chloé, a dit la
jeune fille et elle
m’a assise à une
petite table.
Elle m’a donné une
feuille et des
crayons de couleur.
Autour de moi, des
enfants pleuraient.
Je n’avais pas envie
d’être assise. Je me
suis levée. Pendant
que la jeune fille
s’occupait d’un
petit garçon qui
avait fait pipi dans
sa culotte, j’ai
quitté la garderie.
J’ai suivi une dame
qui avait déjà une
poussette. Elle ne
se rendait compte de
rien, mais j’étais
comme sa fille. Nous
marchions dans
l’allée des jouets
de bain, c’était
intéressant. Au bout
de l’allée, une
longue file de gens
attendait devant un
fauteuil sur lequel
était assis un Père
Noël. Il était vêtu
d’un ensemble rouge
un peu usé, il
portait un bonnet et
il avait une barbe
blanche. Le costume
ressemblait à un
déguisement et la
barbe glissait sur
son menton. Pour un
Père Noël, il
n’avait pas l’air
très sérieux mais il
était amusant. Je me
suis mise dans la
file et j’ai vu
s’éloigner la dame à
la poussette.
Quand son tour
arrivait, l’enfant
venait s’asseoir sur
les genoux du Père
Noël. Il lui disait
quelques mots à
l’oreille. Les
parents prenaient
une photo avec leur
téléphone portable.
Ensuite, l’enfant
descendait et un
autre prenait sa
place. J’étais
curieuse. Mon tour a
fini par arriver.
- Je suis le Père
Noël, a dit le Père
Noël.
- Ça m’étonnerait.
- Bon d’accord, a
reconnu le Père
Noël. Je m’appelle
Frédéric.
- Je m’en doutais.
- Et toi ?
- Mirouflette du
Paradis.
- Tu me prends pour
un imbécile ?
- D’accord. En vrai,
je m’appelle Chloé.
- Qu’est-ce que tu
veux comme cadeau,
Chloé ?
- Je l’ai déjà écrit
au Père Noël.
- J’espère pour toi
que la lettre est
arrivée. Où sont tes
parents pour prendre
la photo ?
- Ma mère est à la
maison. Mon père, je
ne sais pas.
- Tu es perdue ?
- C’est plutôt mon
père qui est perdu.
Moi, je sais où je
suis.
- Bon sang, a dit
Frédéric, j’aimerais
pas être tes
parents. Viens, on
va chercher ton
père.
Il s’est levé de son
fauteuil. Il a
abandonné la file
des gens qui
n’avaient pas l’air
très contents de le
voir partir. Nous
avons traversé le
rayon des jouets,
tous les deux, main
dans la main. Tous
les enfants me
regardaient avec des
yeux plein d’envie.
J’étais en pleine
gloire. C’était
merveilleux.
- Ils croient que je
suis la fille du
Père Noël, ai-je dit
à Frédéric.
- Sauf que je ne
suis pas le Père
Noël et que tu n’es
pas ma fille.
- Pas grave. Je suis
contente quand même.
En plus, j’ai déjà
des parents.
Nous avons vu Papa
de loin. Il était
devant le bureau
d’accueil. Il
parlait à la dame du
guichet. Et il
tenait à la main un
grand sac de
plastique. La bonne
nouvelle, c’était
qu’il avait trouvé
un cadeau pour
Maman. La mauvaise,
c’était qu’il était
tout pâle et que ses
lèvres tremblaient.
La dame a pris un
micro et on a
entendu dans tout le
magasin : « La
petite Chloé est
attendue par son
papa au guichet
d’accueil du
quatrième étage… »
- Chloé, a dit
Frédéric, te voilà
célèbre. C’est ici
que nos chemins se
séparent.
Nous nous sommes
avancés jusqu’au
guichet. Frédéric
allait me quitter
quand Papa s’est
précipité vers nous.
- Je suis le papa de
Chloé, a-t-il dit à
Frédéric.
- Et moi, je suis le
Père Noël.
Papa lui a serré la
main.
- Enchanté, a-t-il
dit. Et merci…
- Pas de quoi, a
répondu Frédéric.
Mais à votre place,
je surveillerai ma
gosse. Le Père Noël
ne sera pas toujours
là pour vous la
ramener. Allez, j’y
retourne. On
m’attend ! Joyeux Ce
Que Vous Savez !
Il m’a soulevée dans
ses bras et il m’a
collé un baiser sur
la joue. Puis il est
parti à grands pas
dans sa robe rouge.
- Je n’aime pas
beaucoup qu’on me
fasse la leçon, a
remarqué Papa. Un
type tout jeune,
avec un bonnet
ridicule et une
barbe en coton,
c’est quand même
vexant…
Il ronchonnait
toujours en
descendant sur
l’escalier roulant.
Et moi, à côté de
lui, je me taisais.
J’étais très
heureuse d’avoir
rencontré Frédéric,
avec sa barbe et son
bonnet foireux. Il
était beaucoup plus
intéressant que le
vrai Père Noël.
Parce que lui, au
moins, personne ne
pouvait dire qu’il
n’existait pas. Même
mon père aurait pu
le jurer : Frédéric
existait pour de
vrai et je l’avais
rencontré.
Une histoire écrite
par Marie Desplechin.
Source :
Enfants.com
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