Il était une fois un
homme qui avait un
perroquet
merveilleux, en fait
une perroquette,
qu’il aimait d’un
amour si fou qu’il
confondait
sentiments et
relations. Ce qui
est assez fréquent
chez les humains,
mais peu courant
chez les
psittacidés.
Il avait fait
construire et
installé pour sa
perroquette une cage
en or, très
luxueuse,
éblouissante,
possédant tout le
confort moderne :
salle de bains avec
eau bouillante,
cuisine super
équipée, four à
micro-ondes, lave
vaisselle, broyeur,
mixeur, chambre
somptueuse à
télévision
incorporée, moquette
synthétique, lustre
de cristal,
ordinateur, mobilier
Henri IV façon IKEA,
etc.
Chaque matin, cet
homme suppliait sa
bien-aimée :
-Tu sais combien je
t’aime, si quelque
chose peut te faire
plaisir, n’hésite
pas, demande le, je
veux te l’offrir !
Et tous les matins,
la perroquette lui
demandait :
- Ouvre la porte de
ma cage, laisse-moi
partir… Voilà le
seul cadeau qui me
ferait vraiment
plaisir !
- Ah ! tu me
déchires, répondait
l’homme. Demandes
moi tout ce que tu
veux, je te le
donne, sauf la
liberté. Car je
t’aime si fort que
je ne peux vivre
sans toi. Je te veux
à moi tout seul.
Demandes moi tout ce
je veux… pour te
faire plaisir.
Un matin, fidèle à
sa conduite, il
demanda à sa
perroquette qu’il
aimait si fort ce
qu’il lui ferait
plaisir. La
perroquette adorée
lui dit :
- Pourrais-tu faire
un voyage pour moi ?
- Oui, oui, tout ce
que tu veux !
- Pourrais-tu aller
vers les Îles du
Désir, transmettre
un message à mon
grand-père qui
habite là bas.
- Avec plaisir
s’empressa l’homme.
Ah ! que je suis
heureux ! Tu me
demandes enfin
quelque chose pour
toi et je peux te
satisfaire. Mais
comment
reconnaîtrai-je ton
grand-père ?
- C’est très simple.
Quand tu arriveras
aux Îles du Désir,
demande où se trouve
la plage qu’on
appelle : Plage
de la Fidélité.
- Es-tu sûr que
c’est sur cette
plage que se trouve
ton grand-père ?
- Oui, oui, tu
verras. Il y a
derrière cette plage
une montagne qui
s’appelle :
Respect de Soi.
Cette plage est au
fond d’une baie, que
tout le monde
connaît sous le nom
de Baie de la
Responsabilité.
Sur cette plage, il
y a des cocotiers
d’une espèce très
particulière, qu’on
nomme là-bas :
Affirmation de Soi
et au sol, des
coquillages d’une
variété très rare,
appelée Pouvoir
se Dire.
Tu lèveras les yeux,
et tu verras tout en
haut du plus grand
des cocotiers … mon
grand-père ! Tu ne
peux pas te tromper,
il est très vieux,
il porte une
moustache à la
Brassens, il a des
yeux tendres et
bleus comme Jean
Ferrat, il a un rire
semblable à celui de
Jacques Brel et il
porte un pull-over
arc-en-ciel comme
ceux Je Julos
Beaucarne. Tu ne
peux pas te tromper
!
- Et que dois je lui
dire ?
- Dis lui simplement
: Je viens à la
demande de ta
petite-fille.
Dis-lui comment je
vis. Dis-lui surtout
tout ce que tu fais
pour moi : la cage
en or, la moquette,
la salle de bains,
la télévision,
l’ordinateur…
Dis-lui tout ce que
tu fais pour moi
avec tant d’amour.
- Tu crois qu’il me
croira ! Il va
peut-être penser que
je me vante. Ce
que je fais pour
toi, je le fais
uniquement par
amour, tu le sais !
- Ne crains rien, il
te croira sur
parole. Surtout
quand tu lui auras
dit mon nom secret.
- Tu as un nom
secret ! s’écria
l’homme soudain en
colère. Tu ne me
l’as jamais dit. Tu
m’as trompé, comment
as tu pu me faire ça
?
La perroquette lui
répondit :
-Je ne t’ai pas
trompé, c’est une
vieille coutume de
chez nous. Nous
avons tous un nom
secret que seuls
connaissent nos
parents. Et
aujourd’hui, en te
le disant, je
dévoile une règle
importante de ma vie
de perroquette. Une
règle vitale que
tous, un jour,
nous devons suivre.
Et ce jour est
arrivé.
Et quel est ce nom
secret ? demanda
l’homme un peu
radouci.
- Je m’appelle :
T'es toi quand tu
parles.
L'homme demanda : -
TAIS-TOI QUAND TU
PARLES ?
- Non, TU ES TOI
QUAND TU PARLES !
s'impatienta la
perroquette. Allez
va dire à mon
grand-père tout ce
que je t’ai dit.
L’homme prit un
billet d’avion en
première classe.
Arrivé aux Îles
du Désir, il
chercha la Baie
de la Responsabilité.
Il repéra la
montagne Respect
de Soi, débarqua
sur la Plage de
la Fidélité,
découvrit les
cocotiers de cette
espèce particulière
appelée
Affirmation de Soi,
remarqua bien les
coquillages nacrés
que tous
connaissaient sous
le nom de Pouvoir
se dire.
Il vit bien tout en
haut du plus grand
des cocotiers, un
beau vieillard de
perroquet à la
moustache de
Brassens, aux yeux
bleus de Ferrat, au
pull-over
arc-en-ciel de Julos,
qui riait aux éclats
avec un rire que
seul Jacques Brel
savait offrir.
- Je viens de la
part de ta
petite-fille ! hurla
l’homme.
- Tu connais ma
petite-fille !
s’écria tout joyeux
le grand-père.
- Oui, elle vit avec
moi, j’ai tout fait
pour son bonheur,
dit-il avec une
quinte de toux qui
secoua sa poitrine.
- Ah ! s’étonna le
grand-père. Tu
étouffais pour
son bonheur !
- Non, non, j’ai
tout fait pour son
bonheur.
- Oui, oui, répondit
le grand-père, j’ai
bien entendu,
peux-tu m’en dire
plus ?
- J’ai acheté pour
elle une cage en or.
- Une cage en or, ce
n’est pas possible !
- Si, si s’écria
l’homme, fier de
lui. Avec tout le
confort moderne,
elle ne manque de
rien, ta
petite-fille, je
peux te l’assurer.
- Ah ! Ah ! Ah ! Ah
! hurla le
grand-père, tu as
fais ça ! Tu as fais
tout ça ! Ahah…
Il ne put en dire
davantage. Il posa
ses deux pattes sur
sa poitrine de
perroquet et tomba
d’un seul coup,
comme foudroyé sur
le sable, parmi les
coquillages…
L’homme abasourdi,
se sentit soudain
très coupable. Il se
lamenta :
- Je n’aurais jamais
dû lui dire tout le
bien, tout le bon
que j’ai donné à sa
petite-fille.
L’émotion l’a
certainement
terrassé. Ah quel
malheur ! Que
vais-je dire à ma
perroquette tant
aimée ?
On ne devrait
jamais dire les
sacrifices que l’on
fait pour un être
aimé.
Il revint dans son
pays, arriva devant
la cage en or,
appela doucement la
perroquette.
Celle-ci se leva
d’un bond.
- As tu vu mon
grand-père ?
- Oui…, balbutia
l’homme.
- Tu lui as dit
comment je vivais,
tout ce que tu
faisais pour moi ?
- Oui, mais… je suis
très gêné. Jamais je
n’aurais dû faire
cela. Je n’aurais
pas dû obéir à ta
demande. Je voulais
te faire plaisir.
- Cela m’a fait
plaisir, qu’a-t-il
répondu ?
- Il n’a pas eu le
temps de répondre,
soupira l’homme.
- Oui, alors
qu’a-t-il fait ? Il
n’a rien dit, il n’a
rien fait ?
- Il n’a rien dit,
seulement Ah, Ah
!
- Il a seulement
fait Ah, Ah,
il n’a rien fait
d’autre ?
- Si, il a dit :
- Tu as vraiment
fait tout ça pour
lui, pour ma
petite-fille ?
Puis il est tombé
foudroyé sur la
plage en faisant
Ahah.
- Ahah ! j’ai
bien entendu,
s’écria la
perroquette, qui
tomba soudain
foudroyée, sans un
mot de plus, sur la
moquette de la cage.
- Mon Dieu, qu’ai-je
fait, s’écria
l’homme, je n’aurais
jamais dû lui
répéter cela. J’ai
tué mon amour.
Il prit tendrement
le perroquet dans
ses bras, le porta,
en larmes, dans son
jardin d’été. Lui
qui n’avait jamais
pleuré de sa vie.
Il prit tout de
suite la décision
d’enterrer la
perroquette tant
chérie près de sa
maison, pour la
garder, encore un
peu, près de lui
pour toujours. Il la
déposa sur le sol
pour aller chercher
sa bêche préférée,
n’eut pas le temps
de se relever… la
perroquette d’un
seul coup d’ailes
s’éleva dans les
airs et se posa sur
la plus haute
branche d’un chêne,
de là sauta sur un
hêtre, car elle
préférait l’être aux
chaînes.
Puis elle dit à
l’homme ébahi :
- Merci de tout mon
cœur de m’avoir
transmis le message
de mon grand-père.
Merci à toi de me
l’avoir rapporté.
- Mais de quel
message parles-tu ?
sanglota l’homme. Ne
pars pas, par pitié,
rentre dans ta cage,
je te donnerai tout
ce que tu me
demanderas… Mais
quel message t’ai-je
donc transmis ?
demanda-t-il encore.
- Le message du
chemin de ma
liberté.
- Reviens, supplia
l’homme, reviens, ne
t’en va pas, je
t’aime, je t’aime,
j’ai besoin de toi.
Si tu le veux
j’installerai un
ascenseur dans ta
cage. Je la ferai
agrandir, je
t’offrirai une île
et j’y planterai des
cocotiers. Reste
avec moi, je t’en
supplie !
La perroquette avant
de s’envoler vers le
bleu du ciel, lui
dit :
- N’oublie jamais
mon nom secret, ne
l’oublie jamais. Je
te le rappelle :
T'es toi quand tu
parles.
Je t’offre ce nom
comme un cadeau.
Puisque tu m’as
aimé, je te donne le
droit de l’utiliser
pour toi… ou pour
ceux que tu aimeras
vraiment.
Puis elle disparut
vers les saisons
de sa vie… qui,
comme chacun le
sait, n’ont pas
d’âge… |