Le pardon n'est pas un acte ou une
formule magique qui permettrait une restitution "Ad integrum" de la
situation. On ne peut effacer le vécu ou faire comme si tel événement ou
telle personne n'avait pas existé. La vie est faite de moments, de
cheminements, d'étapes. La démarche du pardon peut prendre du temps ou
être très rapide (de quelques minutes à plusieurs années) : tout dépend
de l'offense ou des personnalités en cause ! Le temps importe peu,
l'ordre des étapes aussi, mais chacune est quelque part un passage
obligé.
1. Le préalable
Le préalable au pardon est de faire cesser l'offense ou de se soustraire
à l'offense. Je me dois à moi-même de maintenir les conditions de ma
survie. Une offense est une menace et je ne saurais l'accepter. Il y va
de l'estime que je me dois et de la protection qu'il me faut pour
pouvoir vivre.
2. Reconnaître ma blessure et m'avouer ma souffrance
Il n'est pas question de nier ou minimiser l'offense. Ce serait du
refoulement, c'est-à-dire refermer une plaie infectée sans l'avoir
nettoyée; l'abcès se forme sous la suture et risque d'infecter tout le
corps. Je dois me souvenir. Si j'oublie l'offense subie, je ne peux
pardonner !
Pardonner, c'est donner gratuitement à quelqu'un ce qu'il
m'a pris sans l'avoir demandé ou lui faire cadeau de la juste
compensation que j'étais en droit d'en attendre; reconnaître ma
blessure, c'est aussi entrer dans ma vulnérabilité ! Une blessure révèle
ma faiblesse.
Vous connaissez l'expression "on est blessé au défaut de
la cuirasse". La révélation au grand jour de ma faiblesse peut me
procurer de la honte et briser l'image idéale que j'avais de moi-même :
j'aurais aimé être forte. Mais non ! J'ai des limites, je peux parfois
être faible, dépendante, incompétente, inadéquate, impuissante.
3. Trouver quelqu'un avec qui partager ma blessure, ma souffrance
Enfouir ma blessure, la ruminer, c'est le meilleur moyen de l'envenimer
au fond de moi. Il me faut la dire, l'extirper par la parole. La parole
dite est comme le drainage d'un abcès de pus, un drainage de toute
l'amertume, la rancune et la douleur reçue à l'endroit de ma blessure.
Il faut trouver une oreille bienveillante et chaleureuse, capable de
donner réconfort et consolation. Ce peut être un proche. Mais la famille
et les amis, parfois, ne savent pas comment répondre, sont désorientés,
démunis. Ils peuvent aussi se lasser, surtout si la blessure est si
profonde qu'elle a besoin de se dire et de se redire.
Il faut savoir
alors se tourner vers les professionnels de l'écoute thérapeutes,
psychologues et psychiatres. Il faut du courage pour aller trouver
quelqu'un d'inconnu et lui parler de soi, dépasser sa honte et accepter
d'exposer ses faiblesses. Mais c'est aussi une manière de s'aimer
soi-même et de se dire : "Je suis quelqu'un d'important à mes yeux et je
vaux la peine de soigner mes blessures".
En me blessant, l'autre a
oublié les égards dus à tout être humain; il m'a traité comme on traite
une chose. Après cette blessure, j'ai besoin d'une démarche qui me
replace dans mon entière humanité. Un psychothérapeute peut être ce
vis-à-vis humain qui favorisera cette reconstruction.
4. Nommer ce que j'ai perdu pour entrer dans ce processus de deuil
Il me faut identifier la perte; par la blessure qu'il m'a faite, mon
agresseur m'a pris quelque chose. Par le souci ou la douleur créée, au
minimum il m'a pris un peu de ma sérénité, de ma santé. Il m'a atteint
dans mon intégrité. Il a terni l'image que je me faisais de moi-même.
Par ailleurs, Il est important de séparer l'offense elle-même de mon
ressenti et de l'interprétation que je m'en donne :
- mon ressenti peut-être exacerbé par un fait similaire, plus ancien,
non soigné, et qui me fait réagir à l'offense présente de manière
disproportionnée. Dans ce cas, il faut commencer d'abord par s'occuper
de soigner l'offense la plus ancienne.
- au sujet de l'interprétation que je me donne de l'offense, elle est
souvent programmée par l'apprentissage que j'ai fait dans l'enfance de
ce genre de situation. Mais il est possible, en prenant conscience de
cet apprentissage initial de réapprendre autrement.
On ne peut changer
les faits mais on peut changer l'angle sous lequel on les voit !
5. Accepter ma colère et l'envie de me venger
La colère, en tant que sentiment, est une bonne chose quand elle répond
spontanément à une blessure. Elle me signale qu'il y a eu atteinte à
l'intégrité de mon territoire et de plus, elle met à ma disposition
l'énergie dont j'ai besoin pour rétablir mes frontières. Je dois
simplement veiller à ne la laisser se dégrader, ni en jugement de
condamnation qui réduit l'autre à son acte inacceptable, ni encore moins
en passage à l'acte destructeur.
En chacun de nous, il y a un enfant.
Cet enfant s'est senti humilié, impuissant à se protéger. Il se sent
coincé par sa peur et sa peine. Il rêve de reconquérir son pouvoir en
infligeant à l'autre une cuisante défaite et pour cela, il va solliciter
l'aide de toutes les parties disponibles de sa personnalité,
spécialement de celles qui jugent et condamnent.
Si, au lieu d'investir
dans une démarche de jugement et de condamnation, je prends un peu de
temps pour aider cet enfant (qui est moi-même) à exprimer jusqu'au bout
son humiliation, sa peur et sa peine, dans un climat de respect, mes
envies de vengeance ne tarderont pas à disparaître.
6. Comprendre mon offenseur
Il est important que je fasse l'effort de comprendre mon offenseur en
essayant de voir les choses momentanément de son point de vue. Bien sûr,
ce ne sera ni pour l'excuser, ni pour minimiser ce qu'il a fait, mais
tout simplement pour être honnête et remettre le geste de l'autre dans
son contexte concret. Son histoire l'a amené jusqu'à ce geste qui a
croisé ma propre histoire. Mais à travers ce geste qui m'a blessé,
l'autre tentait certainement d'obtenir quelque chose de bon pour
lui-même.
Dans cette perspective, n'oublions pas de
nous rappeler que l'offenseur est un être humain qui ne peut être réduit
à l'aspect mauvais de son geste.
Cependant, même si l'on veut tout savoir sur son offenseur, on ne saura
jamais percer totalement le secret, ni même découvrir tous les motifs de
son geste, motifs souvent inconnus de lui-même. On se retrouve devant le
mystère d'une personne vivante; de sorte que comprendre l'offenseur,
c'est accepter de ne pas tout comprendre !
7. Trouver un sens à ce qui m'est arrivé
Toute souffrance vraie, à condition de la scruter patiemment, m'apprend
des choses importantes sur moi-même. Et par là même, m'ouvre des
possibilités insoupçonnées pour moi-même et pour ma relation avec les
autres. C'est ainsi que l'on peut découvrir le cadeau enfoui sous
l'offense. Je suis pour ma part toujours émerveillée par les gens dont
la vie manifeste ce point.
Par exemple, je pense à ces parents
remarquables qui, après avoir subi la perte d'un enfant à cause d'un
agresseur pervers ou d'une maladie incurable, fondent une association
d'aide pour les autres parents dans le même cas. Je pense aussi à ce
patient, cet homme chef d'entreprise à la vie bien remplie, dont le fils
toxicomane l'a énormément blessé, et qui, pour sa part, a fondé une
association pour la prévention de la toxicomanie par la vente de jouets
pour les enfants.
8. Décider de ma réponse à cette blessure
Répondre autrement que par la vengeance : me venger, ce n'est pas exiger
une juste réparation pour le tort que l'on m'a causé, mais plutôt faire
du tort parce qu'on m'a fait du tort. C'est prendre pour modèle un
comportement destructeur dont je fais déjà les frais. En quoi cela
pourrait-il me construire ? Si consciemment et volontairement je fais
comme mon agresseur, en me vengeant,
au nom de quoi puis-je lui
reprocher son geste ? Me venger enclenche une spirale sans fin, l'autre
ne va-t-il pas à son tour vouloir se venger de ma vengeance ? Me venger,
ce serait investir pour prolonger un passé de souffrance au lieu
d'investir dans la guérison de ma blessure.
Décider de cesser de nourrir consciemment
le vécu affectif de mon passé : la
vie est devant. Les émotions doivent être exprimées. Il faut le temps
nécessaire à cela. Les thérapeutes sont là pour donner temps et lieu, un
espace à l'expression de ces émotions. Mais cet espace a des limites.
Me poser en victime perpétuelle est une
attitude qui peut m'apporter des avantages car je sollicite de la
consolation.
Je peux aussi réduire ma vie à ce malheur
et entrer en relation avec les autres par ce moyen et en obtenir
considération, voire célébrité. Je deviens important aux yeux des autres
par ce moyen, cette offense. Mon besoin de protection peut être
tellement grand que mon offense peut être le moyen tout trouvé de
solliciter constamment amis, famille, milieu médical. Mais pour vivre
pleinement, je dois grandir et renoncer à ce que les autres me plaignent
toujours et me protègent. Je dois assumer les responsabilités de ma vie
à venir sans me cristalliser sur ma souffrance passée.
Dire à son offenseur : je te pardonne ! Ce pardon est une condition de
survie. C'est ne plus permettre à l'autre, par son offense passée, de
continuer à me faire du mal dans le présent. Je lui permets de continuer
à me blesser si je reste dans le monde de la vengeance ou si je persiste
à me considérer comme une victime.
Le pardon est un événement;
c'est-à-dire qu'il y a un avant et un après. C'est une décision
consciente et motivée qui vient au terme d'un long cheminement. Le
pardon est un don gratuit. C'est moi qui décide que je suis prêt et que
je le donne. Le pardon est un rapport personnel entre l'offensé et
l'offenseur. Il est important qu'il soit délivré explicitement.
9. Se pardonner à soi-même
Ce pardon à soi-même conditionnera le pardon accordé à l'autre. C'est
dans la mesure où je prends conscience et accepte mes limites et ma
finitude que je peux avoir compassion de l'autre et lui pardonner. Pour
se pardonner à soi-même, il faut s'aimer. Or souvent, on est pétri de
mésestime envers soi-même, voire de haine. Cette hostilité envers soi
vient tout d'abord des messages négatifs reçus dans l'enfance de la part
de parents impatients, agressifs, malades ou d'éducateurs maladroits ou
mal intentionnés. Il se forge ainsi un complexe d'infériorité qui peut
me rendre toujours déçu de moi-même. Je dois me pardonner de ne pas être
forcément comme les autres attendaient que je sois. Je dois accepter
d'être ce que je suis et me regarder avec mes propres yeux en me
libérant du regard dévalorisant ou désapprobateur qui a pesé sur
l'enfant que j'étais. Une autre raison de l'hostilité envers soi vient
de la recherche d'un bonheur et d'une perfection absolue. Ce désir
d'être irréprochable, parfait, tout puissant, entre en conflit avec la
réalité de notre humanité limitée. Grandir, c'est apprendre à accepter
sa finitude et tolérer son sentiment de culpabilité de ne pas être
parfait. Je n'ai pas à m'enfermer dans des regrets éternels de ce que
j'aurais dû faire ou être. En réalisant et me pardonnant mes propres
failles, je peux concevoir et pardonner celles d'autrui.
10. Décider de ce que je veux faire de cette relation
Pardonner, ce n'est pas forcément rétablir la relation. Beaucoup de gens
ne pardonnent pas parce que pour eux pardonner voudrait dire recommencer
comme avant. Non, pardonner c'est décider, après avoir consacré un temps
suffisant à l'écoute de ma blessure et à l'expression des sentiments qui
y sont liés, de ne plus investir concrètement d'énergie dans ces mêmes
émotions; le pardon concerne le passé. Pour le présent et pour
l'avenir, je suis responsable de répondre aux questions suivantes :
une relation est-elle constructible entre moi et mon agresseur ?
Si oui, à quelles conditions et à quel prix ?
Cela vaut-il la peine de payer ce prix-là ?
Source
inconnue
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