Un médecin, un psychologue ou n’importe quel véritable professionnel de la santé vous dira rarement : « Soignez vos émotions, votre santé ne s’en portera que mieux. » Sauf que, même s’ils ne l’affirment pas tout haut, ils n’en sont pas moins nombreux à le penser tout bas.

Article par Guy Sabourin – Revue Santé


 

I

l existerait un lien, encore mal compris, mais parfois assez apparent, entre les émotions d’une personne et sa santé. Les pensées, les blessures, les joies aussi bien que les souffrances ne font que traverser notre chair, elles s’y impriment. « Vouloir séparer corps, esprit et émotions n’a pas de sens, soutient le Dr Jean Gariépy. Nous sommes un tout, et chacune des parties agit sur les autres. »

         Ce qui pourrait aussi vouloir dire que si nos émotions se portent mal, il pourrait en aller de même de notre santé, tandis que, au contraire, assumer et vivre pleinement chaque émotion constituerait un gage de santé.

D’abord, qu’est-ce qu’une émotion ?

Selon les psychologues humanistes, les émotions nous renseignent sur nos besoins. Ce précieux système d’information place les émotions au cœur de la vie parce qu’elles nous aident à faire les bons choix, comme le font d’ailleurs les sensations. J’ai froid, j’ai besoin de me vêtir; je suis fatigué, j’ai besoin de me reposer; je suis en colère, j’ai besoin de régler une situation.

         Tout semble si simple ! Et pourtant, très souvent, ça ne se passe pas de cette façon. Nous cachons jusqu’à un certain point certaines émotions jugées négatives : colères, grandes peines, mélancolies, haines… Nous les ressentons, cela va de soi, mais nous les gardons dans les limites d’un étroit corridor. Nous n’exprimons peut-être pas tout de suite notre indignation, par exemple, quand quelqu’un nous insulte.

         « On se sert souvent de notre corps pour arrêter les émotions, explique Michelle Larivey, psychologue. Le point dans le dos, la crispation d’un muscle, la mâchoire serrée, le mal de ventre, la tension chronique, la douleur à la poitrine, en constituent quelques exemples. Or, à force de solliciter une partie du corps pour bloquer nos émotions, il serait logique de penser qu’on peut l’user et même la rendre malade. J’ai vu des clients avoir mal au ventre ou au dos et être soulagé dès qu’ils ont convenablement exprimé l’émotion à l’origine de cette douleur. »

         L’anxiété — qui traduit un problème émotionnel — fournit un autre exemple d’ « usure ». Une personne anxieuse respire habituellement mal et contracte le diaphragme pour bloquer des émotions. Elle s’oxygène mal et ce déficit en oxygène pourra se traduire par de la fatigue et une baisse d’énergie. Certains migraineux, quand pointe une émotion particulière, se taisent, arrêtent l’émotion, essaient de l’oublier. Or, la tension de l’émotion stagne en quelque sorte dans le crâne, devient douleur, qui devient à son tour migraine.

         « Nous observons chez nos clients, lorsqu’ils expriment leurs émotions, la disparition ou a diminution de nombreux symptômes comme l’insomnie, les crampes abdominales, les serrements de gorge, les maux de tête… Lorsqu’il y a libération de la charge émotive, c’est tout l’organisme qui se détend et s’apaise », écrivent les psychologues Marie Jolicoeur et François Sauvé dans Mieux comprendre la psychothérapie, 27 questions-réponses (Éditions Stanké).

Quand les émotions font trop mal

Certaines émotions font très mal; la douleur est inconfortable, parfois insupportable. Imaginons un homme seul, qui s’ennuie. Sa seule compagne : une solitude désespérante qui lui décape le moral. Cette sensation d’être abandonné lui fait mal; elle peut devenir intolérable. Il décide de la calmer avec de l’alcool, soir après soir, durant des années. Résultat : l’alcool le rend malade. Or, à l’origine de cette maladie, il y a un problème non résolu et des émotions repoussées. « C’est ce que l’on appelle utiliser des moyens destructeurs pour ne pas sentir une émotion » explique Michelle Larivey. Si cette émotion avait été reconnue et nommée, elle aurait pu être « traitée » différemment. Pour l’affronter, cet homme seul aurait pu sortir, rencontrer des gens, s’inscrire à des cours, faire du sport…

         La boulimie constitue un autre exemple. « Pour soulager leur souffrance psychologique, cette sensation qu’ils ne peuvent tolérer, les boulimiques mangent, explique le Dr Jean Gariépy. L’effet apaisant des aliments est bien connu. Or, l’obésité qui en résulte entraîne diabète, hypertension et toute une panoplie de maladies ».

         Certains utiliseront médicaments et drogues pour faire taire l’intolérable, d’autres l’immersion totale dans le travail jusqu’à l’épuisement professionnel; pour d’autres encore, ce sera les comportements obsessionnels (vérifier 30 fois si l’on a bien éteint la cuisinière avant de sortir), tous les moyens d’endormir l’émotion sans la régler.

         Même si certaines émotions nous donnent parfois du fil à retordre, toutes sont leur importance. On a tendance à penser que certaines sont positives — comme la joie, la sérénité, l’amour —, que d’autres sont négatives — jalousie, colère, etc. « Mais en matière d’émotions, de telles catégories n’existent pas, poursuit Michelle Larivey. Les émotions agréables nous informent que nous possédons ce dont nous avons besoin pour le moment, tandis que les émotions désagréables, comme la haine, la révolte, la frustration, la mélancolie, la tristesse, nous parlent au contraire de problèmes ou de besoins en souffrance. Nous avons intérêt à régler ces situations car les émotions tenteront toujours de faire passer leur message. »

         Les émotions, quelles qu’elles soient, n’usent pas le corps humain, tient à préciser la psychologue. C’est plutôt le fait de ne pas s’en occuper qui use ! Votre voisin d’en haut écoute de la musique toutes les nuits et vous empêche de dormir; si vous ne manifestez pas votre colère, ce n’est pas la colère que vous ressentez nuit après nuit qui viendra à bout de votre santé, mais plutôt le fait de la retenir perpétuellement, avec pour résultat une situation intolérable qui ne changera jamais en votre faveur.

         Certaines maladies chroniques (asthme, urticaire, psoriasis, eczéma, etc.) qui, précisons-le, ne tirent pas leur origine dans la vie émotive, n’en réagissent pas moins aux émotions du sujet. « J’ai eu un patient dont le psoriasis sévère déclenchait une arthrite, raconte Jean Gariépy. Il a fait de la chimiothérapie, pris des opiacés pour calmer son arthrite, sans trop de succès. Un jour, alors qu’il est dans le Sud avec sa nouvelle conjointe, il en profite pour lui confier les inquiétudes financières qu’il éprouve concernant son enfant à elle. Tout de suite, d’en parler, son stress diminue. Durant quatre mois, il a été en rémission totale : aucune douleur, aucun analgésique. Jusqu’à ce que le stress revienne dans sa vie. »

         « Si nous n’écoutons pas le message que tentent de livrer nos émotions, si nous contournons le cri que cela implique parfois, c’est là que la maladie est le plus sujette à apparaître, croit Jean Gariépy. Il est faux de croire que nous avons besoin de tout casser autour de nous pour manifester efficacement une colère. Il y a plusieurs moyens très civilisés de le faire ! »

         Dans la panoplie des symptômes reliés à la santé mentale — anxiété, dépression, angoisse, obsessions, phobies —, la composante émotionnelle ne fait absolument aucun doute. Les émotions du patient constituent d’ailleurs le champ de bataille du psychologue et du psychiatre. C’est de là que part le mal et c’est là qu’il se termine, quand la personne assume ses émotions.

         Michelle Larivey croit que, pour conserver la santé aussi bien mentale que physique, il faut d’abord légitimer ses émotions : ce qui veut dire les accepter toutes, les vivre toutes et les utiliser toutes pour approfondir la connaissance de nos véritables besoins. Ce qui implique, indique-t-elle, de respecter le processus émotionnel. « Vous êtes en santé mentale si ce processus se déroule harmonieusement », conclut-elle.

Les étapes dans la vie d’une émotion

De l’apparition d’une émotion à sa disparition, il se déroule six étapes, selon Jean Garneau et Michelle Larivey, deux psychologues ayant chacun une trentaine d’années d’expérience et auteurs du livre Les émotions, source de vie. 

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L’émotion émerge. Exemple : j’écoute un film et je deviens soudain triste. 

 

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Je choisis d’être attentive à cette tristesse : je m’immerge dans mon émotion.

 

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Ensuite, cette émotion tend à se développer si je demeure ouverte aussi bien à moi qu’à l’inconnu qui peut apparaître. Il me vient alors des idées reliées à elle : cette tristesse survient souvent durant les passages où je vois deux amoureux se dévorant des yeux. Cette tristesse m’est familière. Je revois me dernières vacances, tellement différentes de notre lune de miel !

 

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Tout à coup, cette émotion n’est plus mystérieuse. Elle prend une signification qui colle à mon présent. Je constate que j’aimerais vivre davantage de tendresse, d’amour et de proximité avec mon conjoint.

 

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Je décide alors de poser une action importante : je parle à mon conjoint de ma découverte, je lui laisse découvrir ma tristesse et je lui explique pourquoi je me sens comme ça. Le fait de lui exprimer ce que je ressens est une façon de respecter ce qui est important dans un aspect de ma vie. Après m’être ainsi exprimée, je ressens un soulagement et une impression d’être unifiée. J’ai fait une boucle avec mon expérience émotionnelle.

 

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Je suis disponible pour un nouveau cycle. Une nouvelle émotion ou préoccupation prendra place.

 

         Quand on accepte une émotion spontanément, on passe les six étapes facilement. Ça se déroule aussi naturellement que l’expérience de la faim (vague sensation / avoir faim /acte de manger). Le processus est parfois lent, parfois rapide, et dépend de la complexité de la préoccupation en cause.

         Mais il se peut que l’on bloque le processus, que l’on saute une étape ou que l’on ne puisse passer à l’étape suivante, pour toutes sortes de raisons, (la société et l’entourage ne tolèrent pas facilement toute la gamme des émotions). Dans l’exemple précédent, la personne choisit d’aller jusqu’au bout de sa tristesse, mais on peut très bien concevoir l’inverse, si elle se trouve par exemple mal à l’aise de se montrer vulnérable devant son conjoint et de lui adresser une demande de tendresse.

         Inutile de se sentir tout de suite coupable si l’on juge que notre vie émotive n’est pas optimale. « Nous sommes entourés de valeurs sociales fortes : performance, consommation, compétition, rapidité, qui toutes tentent à modeler notre vie émotive », souligne Jean Gariépy. Michelle Larivey ajoute que les gens sont très mal renseignés sur l’importance d’une vie émotive saine. « Les gens font de leur mieux pour maintenir l’équilibre, mais ne savent souvent pas qu’il est malsain de repousser ce qu’ils ressentent… »

PARLER SOULAGE

 

         N’y a-t-il pas un lien entre la qualité de la vie émotive d’une personne atteinte de cancer et sa capacité à passer au travers ? Plusieurs le pensent, mais l’affirmer serait aller trop loin. Il n’en reste pas moins que la vie émotive de ces personnes est si importante que la Société canadienne du cancer met à leur disposition des programmes de soutien affectif, sous la responsabilité de France Lemaire. « Il est essentiel de ne pas bloquer ses émotions, parfois très vives quand on nous annonce un cancer. Nous mettons d’ailleurs des bénévoles à l’écoute de ces personnes. »

         Rien ne permet d’affirmer que la vie émotive saine égale guérison du cancer. Mais parler de ce que l’on ressent – peine, colère, injustice, peur, choc… - augmente considérablement la qualité de vie pendant l’épreuve. « Parler libère, soutient France Lemaire. Assumer chacune de ses émotions durant une épreuve comme le cancer provoque souvent un profond changement intérieur qui peut aussi mener vers la rémission. Au contraire, radiothérapie et chimiothérapie risquent d’être moins efficaces dans un corps contracté ou crispé sous l’effet du ressentiment ou de la rage. »
 

SUGGESTIONS DE LECTURE

 

Les Émotions, source de vie, par Jean Garneau et Michelle Larivey

Éditions ReD, 2000, 272 p., 29$.

 

Commande sur le site Internet : http://www.redpsy.com/vie/

ou par téléphone, au (514) 271-8737.

 

 

Les Maladies et leurs émotions, par le Dr Gérard Charpentier

Éditions de Mortagne, 2000, 304 p., 19.95$
 

        

 

 

 

 

 

 

 


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