Les
7 étapes du deuil par Jean
Monbourquette
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grandir par Jean Monbourquette
Avant d’aborder l’étude de ces
étapes du deuil, une mise au
point s’impose. Disons que
chaque personne vit son deuil à
sa manière. Il n’y a pas une
façon idéale ou déterminée pour
résoudre un deuil. Par ailleurs,
les spécialistes du deuil ont
discerné, dans la résolution
d’un deuil, des moments communs
à tous les endeuillés qu’on peut
appeler « étapes » au sens large
du terme. Ces étapes serviront
d’indicateurs permettant
d’évaluer l’évolution d’un deuil
normal ou de détecter les
retards et les blocages d’un
deuil pathologique.
Mon expérience auprès des
endeuillés m’a amené à répartir
l’évolution du deuil sur sept
étapes, à savoir le choc, le
déni, l’expression des émotions,
la prise en charge des tâches
reliées au deuil, la recherche
d’un sens, l’échange mutuel des
pardons et enfin, l’héritage.
Voici une brève description de
ces étapes.
1
. Le choc
Le
choc survient souvent dès qu’on
apprend la nouvelle d’une
maladie grave ou le décès d’un
être cher. On se sent alors
consterné et impuissant à
décrire ce qui se passe en soi.
On a de la peine à entendre et à
réaliser ce qui est arrivé. On
ne parvient pas à y croire «
C’est un vrai cauchemar! », « Ça
ne se peut pas! », « Hier
encore, il paraissait si bien »,
etc.
L’état de choc s’accompagne
souvent d’hallucinations. On
s’imagine voir le défunt,
l’entendre ou même sentir sa
présence. Si le choc dure
quelques semaines, il n’y a pas
lieu de s’inquiéter outre
mesure, mais s’il se prolonge,
le deuil prend des dimensions
pathologiques. Voici un cas qui
illustre bien mon propos : une
épouse en deuil de son mari a
révélé au groupe des endeuillés
qu’à tous les soirs depuis deux
ans, elle et son époux faisaient
une promenade la main dans la
main.
Pendant quelques semaines à la
suite du décès, les deuilleurs
se sentent engourdis et
léthargiques. Ce qui ne les
empêche pas de se montrer
au-dessus de leur deuil devant
les visiteurs au salon
funéraire. Ils ne pleurent pas.
Ils vivent, pour ainsi dire, sur
un nuage. Ils manquent cependant
de concentration et leur mémoire
s’en trouve gelée. Ils
commencent à ressentir une
lourde fatigue qui rend les
tâches quotidiennes pénibles à
exécuter. Ils régressent souvent
à un état de dépendance
semblable à celui de l’enfance.
Pas étonnant que les amis leur
offrent de les aider à tenir le
coup en leur rendant des
services tels que leur préparer
de la nourriture et faire des
tâches domestiques pour eux.
L’état de choc n’a pas seulement
des effets négatifs. De fait il
donne aux endeuillés le temps de
digérer la dure réalité et de se
ressaisir en puisant en eux les
ressources nécessaires pour
gérer la situation de perte de
l’être cher.
2.
Le déni
Peu après le choc commence la
phase du déni ou de la
dénégation. Le déni relève soit
de l’ordre de la connaissance,
soit de l’ordre de l’affectivité
ou des deux à la fois. La
dénégation sur le plan cognitif
pousse à oublier l’événement
malheureux et à éviter tout ce
qui peut lui rappeler la perte,
telle que la référence à
l’hôpital, au cimetière, au
salon funéraire, etc. Certains
deuilleurs tapissent leurs murs
de photos du défunt de peur de
l’oublier; d’autres gardent
intacts sa chambre et ses objets
personnels comme s’il vivait
encore. Dans le jargon
psychologique, on appelle cette
conduite « momification ».
Sur le plan affectif, le déni
engendre chez l‘endeuillé,
surtout chez les hommes, une
incapacité à vivre et à exprimer
ses émotions. Il combat la
montée de ses émotions en
utilisant diverses tactiques :
il se tient si occupé qu’il
devient hyperactif; il se met à
chercher un ou des responsables
du décès; il idéalise le défunt
il essaie d’imiter la maladie du
cher défunt ou encore il cherche
à trouver une personne-substitut
souvent parmi les membres de sa
propre famille pour qu’elle
prenne la place du défunt.
Parfois, l’endeuillé sera tenté
de noyer son deuil ou de geler
sa peine dans la boisson, les
médicaments ou la drogue.
D’autres fois, il se complaira
dans des fantasmes de faire
réapparaître l’être disparu.
Tous ces stratagèmes le
soulageront de sa peine de
courts instants jusqu’à ce que
la dure réalité de la mort le
rattrape et l’accable de
nouveau.
3.
La ronde des émotions
Quand les résistances au deuil
se mettent à céder, la personne
endeuillée se sent submergée par
un flot d’émotions et de
sentiments divers, tels que
l’angoisse, la tristesse, la
sensation d’avoir été
abandonnée, la colère, la
culpabilité et la libération.
Ces états d’âme viennent en soi,
se retirent puis reviennent
comme le flux et le reflux de
vagues tout en perdant de leur
intensité à chaque venue.
L’angoisse
Au moment où l’endeuillé
apprend la mauvaise
nouvelle, il se sent envahi
par l’angoisse. La réalité
de la mort d’un proche lui
rappelle sa propre mort qui
approche. Il se sent alors
désarmé devant son
imminence. Il a l’impression
d’avoir perdu la maîtrise de
sa vie en perdant son être
cher. Il prend conscience de
ses limites humaines. Il se
sent impuissant à changer le
cours des choses. Cet état
angoissant disparaîtra à
condition qu’il accepte ses
limites et prenne conscience
de son incapacité à sauver
l’être aimé.
La tristesse
La tristesse est l’émotion
typique du deuil. Elle est
la douleur d’un coeur auquel
on aurait arraché l’objet de
son amour. Le mot « peine »
qu’on utilise souvent pour
désigner la tristesse
connote très souvent le
sentiment d’être puni ou de
subir un châtiment. La
tristesse s’exprime
normalement par des pleurs.
Elle se fait parfois si
intense qu’elle plonge
l’endeuillé dans un état de
désolation au point de
désirer mourir pour aller
rejoindre dans la mort
l’être aimé.
La colère
La colère sourde dans le
deuil prend souvent la forme
plus ou moins consciente
d’une protestation contre le
défunt à qui l’endeuillé
reproche de l’avoir
abandonné. Rares sont ceux
qui osent laisser libre
cours à leur colère. Une
cliente me disait « Comment
peut-on se fâcher contre un
mort ? » Souvent, la colère
se déplacera sur les autres.
L’endeuillé en colère
s’efforcera de trouver un ou
des coupables de cette
tragédie personnelle. Il
s’en prendra aux soignants
ou aux proches; il les
blâmera de ne pas avoir
prodigué au moribond tous
les soins nécessaires. Pour
d’autres, leur colère se
retournera contre eux-mêmes;
ils seront submergés par un
sentiment de culpabilité.
La culpabilité
Le sentiment de culpabilité
qui afflige l’endeuillé ne
revêt pas toujours un
caractère indésirable car
toute séparation ou tout
deuil engendre un sentiment
de saine culpabilité. Ainsi,
la séparation d’un conjoint
bien-aimé, par exemple, fait
souvent naître, chez
l’autre, une conscience plus
vive de ses manques d’amour.
L’endeuillé se sentant
coupable, se posera des
questions comme celles-ci :
« Lui ai-je assez parlé ?
Lui ai-je assez dit que je
l‘aimais ? Ai-je tout fait
pour le sauver de la mort ?
»
Il y a sans doute quelque
chose d’excessif dans les
reproches qu’il se fait. La
manière d’atténuer la crise
de culpabilité, chez le
survivant, est de
reconnaître ses limites
devant la mort ainsi que son
incapacité d’aimer d’un
amour parfait en tout point.
La sensation d’être libre
Beaucoup d’endeuillés
n’osent pas éprouver ce
sentiment de libération
après la mort de l’être
cher. Ils s’en voudraient de
laisser croire aux proches
et aux amis qu’ils voulaient
se débarrasser d’un être
encombrant. Prenons
l’exemple d’un grand malade
que l’on a gardé jour et
nuit. Les soignants épuisés
ne ressentent-ils pas une
vraie délivrance au moment
de la mort du moribond ?
D’ailleurs, entretenir les
liens d’intimité demeure
toujours une chose difficile
et engageante. N’est-il pas
normal et sain pour les
intimes de ressentir un
sentiment de libération à la
mort lente et éprouvante
d’un être, si cher soit-il ?
Plusieurs ne comprennent pas
qu’on puisse être habité à
la fois de nombreux
sentiments contradictoires,
tristesse et libération,
amour et haine, peur et
désir d’intimité, etc.
La grande « braille »
L’expression des émotions
tire à sa fin au moment de
la « grande braille » qui
s’avère un tournant dans la
résolution du deuil. À ce
stade, la personne en deuil
acquiert une vive et pleine
conscience de la perte
définitive de l’être aimé.
Elle laisse s’envoler le
dernier espoir de son
retour. Elle réalise que
l’aimé est bien parti et
qu’elle ne le reverra plus.
Sa tristesse se change alors
en « lamentations ».
J’appelle « la grande
braille » le moment précis
de la conscience de la
perte. Il se reconnaît à
l’intensité de la douleur
transformant les pleurs en
lamentations.
Puis, à la suite de cette
éclatante décharge émotive,
l‘endeuillé éprouve une
profonde paix souvent
accompagnée
d’expériences-sommet il se
sent soutenu par des êtres
spirituels ou il se voit
baigné dans un flot de
lumière réconfortante. C’est
alors qu’advient, chez lui,
en même temps, la pleine
conscience de la gravité de
sa perte et l’acceptation du
départ irrévocable de la
personne aimée.
La difficulté principale que
les thérapeutes éprouvent
lors du traitement des
émotions, c’est que beaucoup
de deuilleurs ne possèdent
pas un large répertoire
d’émotions et de sentiments
pour s’exprimer.
Ils ont des émotions «
trafiquées », c’est-à-dire
qu’ils ont des émotions de
surface qui cachent leurs
réelles émotions. Parfois,
c’est de la tristesse qu’ils
manifestent alors qu’en
dessous, c’est de la colère
qu’ils couvent; ou bien ils
manifestent de la colère,
mais au fond ils vivent de
la tristesse. Voici des
exemples d’émotions et de
sentiments « trafiqués » :
des rires nerveux pour de
l’angoisse; le sentiment de
culpabilité pour le
sentiment de libération; des
plaintes pour de la colère;
de la joie pour des regrets,
et ainsi de suite. Les
endeuillés ont recours à ce
stratagème parce que leurs
parents leur ont interdit
d’exprimer certains
sentiments et émotions. Une
telle défense grippe le
déroutement normal des
émotions et des sentiments.
4.
La prise en charge des tâches
reliées au deuil
Une fois que le travail
émotionnel du deuil aura
bien progressé, il restera à
accomplir des tâches
concrètes conséquentes au
deuil. Quelles sont-elles ?
Il s’agira de réaliser les
promesses faites au défunt;
exécuter les rituels
funéraires prescrits par la
coutume; ranger les photos
du défunt dans un album; se
défaire de ses vêtements et
de ses objets personnels;
garder un ou deux souvenirs
en mémoire du disparu, etc.
Ces gestes en apparence
insignifiants contribueront
beaucoup à accélérer le
travail du deuil. Car, en
les posant, l’endeuillé
démontrera â lui-même et aux
proches qu’il est bien
engagé dans l’acceptation de
la mort de l’être cher.
5.
La découverte du sens de sa
perte
L’expression des sentiments
et des émotions et
l’exécution des tâches
concrètes conséquentes au
deuil permettent à
l’endeuillé de prendre peu à
peu ses distances vis-à-vis
du décès. Le deuilleur n’est
plus tout absorbé dans le
monde de ses émotions; il
aura commencé à mettre sa
perte en perspective. Le
temps sera venu pour lui de
se demander quel sens pourra
prendre sa perte affective
et comment il poursuivra sa
vie à l’avenir. Au lieu de
rester dans un état d’âme de
désolation, il en profitera
pour mieux se connaître et
pour puiser dans ses
ressources personnelles. Il
exploitera davantage ses
forces en l’absence de
l’être aimé.
Enfin, il en viendra à
reconnaître qu’à la suite de
son malheur, il aura mûri et
aura trouvé de nouveaux sens
dans sa vie. Alors, le temps
est venu de réfléchir sur le
sens spirituel de son
existence et de sa perte en
se posant les questions
suivantes;
Beaucoup de psychologues et
de thérapeutes du deuil
laissent tomber ce
questionnement sur le sens,
croyant faussement que le
deuil se termine à la fin de
l’étape des émotions. Le cas
suivant pourrait les
convaincre du contraire.
J’avais une cliente, une
femme qui avait perdu son
bébé de huit mois. Elle
était inconsolable et
pleurait à en faire pitié.
Après lui avoir fait
raconter l’histoire de la
mort de son bébé plusieurs
fois, en désespoir de cause,
je lui ai demandé : « Est-ce
que la mort de ton bébé a
pris, prend ou prendra un
sens pour toi ? » Elle me
répondit : « Tu veux mettre
Dieu dans ma détresse ? Moi,
je ne suis pas croyante. ».
Je lui ai fait la remarque
suivante : « C’est toi qui
as commencé à parler de
Dieu, pas moi ».
À la session suivante, elle
me dit qu’elle avait
réfléchi à la question
stupide que je lui avais
posée à la dernière
rencontre. Et voici sa
réponse : « J’ai une grande
amie qui est décédée l’an
passé. Or son grand
désappointement dans la vie
était qu’elle n’avait pas eu
d’enfant. Elle est sûrement
au ciel mais seule. Je
voudrais lui confier mon
bébé pour qu’elle en prenne
soin. Quant à moi, étant
assurée de son amour pour
les enfants, je ne
m’inquiéterai plus de mon
enfant. Jusqu’à maintenant,
je couchais avec ses cendres
près de mon lit. Je suis
prête à les faire enterrer
au cimetière ». Sa réponse à
ma question sur le sens de
la mort de son enfant
l’avait réconfortée au point
qu’elle avait cessé de
pleurer.
6.
L’échange de pardons
À l’expérience, j’ai pu
constater la nécessité de
pardonner pour achever le
processus de deuil.
L’endeuillé qui sera parvenu
à accorder son pardon au
défunt pour ses fautes et
surtout pour son départ, se
libérera des restes de la
colère que le départ de
l’être cher aura provoquée
en lui. Par contre, en
demandant pardon au défunt
pour ses propres faiblesses
et ses manques d’amour,
l’endeuillé réduira d’autant
l’intensité de son sentiment
de culpabilité. L’échange de
pardons qu’il effectuera
avec son cher disparu lui
apportera une grande paix.
Grâce à la réconciliation,
il se sentira en paix avec
lui-même et se trouvera
disposé à accueillir son
héritage.
7.
La prise de possession de son
héritage
L’héritage spirituel
consiste à se réapproprier
tout l’amour et les rêves
dont l’être aimé aura été
l’objet. Autrement dit
l’héritage consiste à
reprendre à son propre
compte ce qu’il avait admiré
et aimé chez l’autre au
moment de l’amour-fusion.
L’endeuillé a le pouvoir
d’incorporer dans sa vie les
qualités et les talents
appréciés chez le cher
disparu, à condition, bien
entendu, d’avoir consenti à
le laisser partir. En vue
d’aider les endeuillés à
recevoir leur héritage
spirituel, j’ai conçu un
rituel dont la description
se trouve dans mon volume "Aimer, perdre et grandir".
À l’aide de ce rituel, il
devient possible d’évaluer
tous les apprentissages
acquis en présence de l’être
aimé et de s’autoriser à les
actualiser pour soi. Grâce à
l’héritage, on se trouvera
gratifié et habité par une
nouvelle forme de présence
du cher disparu.
Déclaration
officielle de la fin du deuil
Le
rituel de l’héritage se termine
d’ordinaire par la déclaration
officielle de la fin du deuil.
Dans le passé, on avait des
signes distinctifs pour marquer
révolution du deuil et pour
signifier la fin de celui-ci.
Dans la société actuelle, on ne
sait plus trop à quel moment le
deuil est terminé. Il y a
nécessité que sa fin soit
honorée d’une sanction sociale.
J’ai pu observer l’immense
soulagement qu’éprouvent les
endeuillés à se faire dire par
le meneur du groupe de deuil ou
par une personne importante : «
Avec la prise de possession de
votre héritage spirituel,
considérez que votre deuil est
bel et bien terminé ».
Voici ma vision du deuil, de son
déroulement et de sa résolution.
Pour terminer, permettez-moi de
vous affirmer que le deuil n’a
rien à voir avec une maladie
chronique, comme d’aucuns le
prétendent, mais c’est un
passage obligé temporaire. Il ne
dure qu’un temps, le temps de «
faire son deuil ». |