Ils sont plus nombreux qu’on ne l’imagine. Bien sûr il y a autour de nous (et nous en connaissons tous) des enthousiastes, des émerveillés, des personnes douées pour le bonheur. Il y a des êtres qui savent accueillir et goûter le bon ou le merveilleux qui peut surgir de toute situation, dans chaque événement ou rencontre, qui trouvent matière à s’enflammer et à nous offrir leur contentement et leur joie. Il y a des gens qui ont le bonheur à fleur de peau et c’est toujours un plaisir que de les rencontrer.
Mais il existe aussi des saboteurs, des empêcheurs de bonheur, des pisse-vinaigre qui suintent d’aigreur… Qui ne voient que le négatif, le mauvais, le pas bon, qui mettent en avant, tout ce qui ne va pas, ce qui manque ou ce qui ne s’est pas passé. Il y a tous ceux qui sont d’une habileté incroyable pour voir dans chaque circonstance de la vie un tremplin au malheur, une caricature de l’existence. Ceux qui savent ridiculiser, disqualifier, démolir, voire même réduire à néant les actions, les paroles ou les réalisations de ceux qui les entourent.
Ce qui est frappant chez les saboteurs du bonheur, c’est leur apparente sincérité, leur bonne foi inébranlable dans leur jugement ou l’opinion qu’ils ont sur les êtres et les choses.
Ils ne savent remettre en cause ni leur regard, ni leur écoute, ni cette sensibilité particulière qui leur fait percevoir le pas bon ou le mauvais (qui existe parfois) de la vie. Faisant feu de tout bois, du plus petit incident ou détail qui leur montre à l’évidence que « Ça ne va pas bien ! Que ce n’est pas comme ça que cela aurait dû se passer… Que décidément, ils ont bien raison de se méfier et de dénoncer ce qui ne va pas ! »
Ils savent mettre en exergue tout ce qui ne va pas, tout le négatif de l’existence. C’est pour eux une activité à temps plein.
Ils sont d’une certaine façon des prédateurs du bien-être. Ils se croient lucides « A moi, on ne me le fait pas, je sais ce que c’est, j’en ai vu d’autres ! » ; ils se voient comme justes (il ne faut pas se laisser avoir), se veulent impitoyables (pas de quartier, pas de demi mesure) dans leur affirmation. Ils sont infatigables et persuasifs (pas de repos) dans leurs critiques.
Au fond d’eux-mêmes les saboteurs du bonheur sont heureux et satisfaits, surtout d’eux-mêmes et cela d’autant plus qu’ils ne sont pas satisfaits des autres et de la vie. Ce qu’ils voient autour d’eux les confirment dans la justesse de leur vision. Ils s’alimentent, se nourrissent et se dynamisent de la déception qu’ils suscitent, du découragement et de l’affliction qu’ils provoquent. « Tout est noir, tout est sombre et triste, moi seul vois clair et juste ! » Il y a peu de remèdes à opposer aux empêcheurs de bonheur. Leurs personnes comme leurs messages sont rapidement toxiques et nous polluent dès que l’on se trouve dans leur environnement ou à proximité de leurs commentaires. Il ne nous reste qu’à utiliser nos ressources pour les fuir ou les laisser mijoter dans leur catastrophisme ou fermenter entre eux. Les empêcheurs de bonheur sévissent dans tous les milieux, ils sont masculins ou féminins et ont tous les âges. Ils ne s’améliorent pas en vieillissant et s’accrochent avec une vitalité inouïe à démontrer que « la vie n’est vraiment pas ce qu’elle devrait être et de toute façon qu’elle ne vaut pas la peine d’être vécue, sinon pour en dénoncer les insuffisances ! ».
Vous est-il déjà arrivé d’acheter quelque chose alors que vous n’en aviez pas vraiment besoin ou même envie; de répondre positivement à une demande alors que vous ne souhaitiez nullement faire cette chose; de sortir confus, troublé d’un échange avec une personne sans trop comprendre ce qui venait de se passer; de dépanner quelqu’un au prix de vous mettre dans le pétrin. Autant de situations qui portent à croire que vous avez probablement été en contact avec une personne qui vous a manipulé.
Plus que jamais, la manipulation est omniprésente. Pensons à la publicité, la vente, la politique, la mode, la concurrence, la sollicitation sur Internet, le contrôle de l’information, etc. La manipulation se retrouve également dans nos relations amoureuses, familiales, amicales et professionnelles. Nous allons traiter ici, plus particulièrement, de la manipulation interpersonnelle dont les effets sont souvent troublants et destructeurs.
Le Petit Robert définit le verbe manipuler comme étant « influencer habilement (un groupe ou un individu) pour le faire penser et agir comme on le souhaite ». Quelle que soit la forme que prend la manipulation (flatterie, pleurs, incitation, bouderie, séduction, etc.), elle comporte toujours une série d’attitudes et de propos qui visent à faire faire à l’autre certaines choses qu’il ne souhaite pas, et ce, si possible, sans qu’il s’en rende compte. La manipulation est donc une manœuvre consciente ou inconsciente qui vise à dominer une autre personne pour en retirer certains avantages. Elle implique un rapport de pouvoir de dominant à dominé et un rapport d’exploitation. C’est donc une relation coercitive et intéressée qui passe par des actes et des comportements.
Dans nos rapports aux autres, nous sommes susceptibles de rencontrer une multitude de comportements manipulateurs : bouder pour culpabiliser l’autre et le forcer à s’excuser, insister pour qu’il cède, charmer pour attendrir, pleurer pour émouvoir l’autre en colère, séduire pour avoir une relation sexuelle, agir en victime pour faire sentir l’autre méchant et coupable, etc. Que ce soit pour assouvir nos désirs de réussir, de dominer, de séduire ou d’imposer notre point de vue, les comportements manipulateurs ont pour mission de nous aider à obtenir satisfaction.
Personne n’est à l’abri de subir des manigances manipulatrices et chacun peut, à certains moments, utiliser des paroles, des attitudes ou des gestes visant à manipuler autrui. À titre d’exemple, les parents ont parfois recours au chantage pour influencer le comportement de leurs enfants : « Si tu ranges ta chambre, tu pourras aller chez ton ami » ou encore « Sois gentil, fais-moi plaisir, va tondre le gazon! ». Un parent sain utilisera bien consciemment de telles attitudes à l’occasion pour éviter d’avoir à se fâcher ou pour prévenir un conflit. Toutefois, ce parent encouragera l’autonomie de son enfant et respectera la personne qu’il est en train de devenir sans abuser de son pouvoir. En retour, l’enfant peut faire pression sur le parent : « Si tu ne veux pas que…, je ne t’aime plus et je m’en vais » ou encore « Puisque tu ne m’accordes pas cette permission, tu es méchant, tu es égoïste ». L’enfant, dans une ultime tentative d’obtenir ce qu’il désire, peut utiliser des attitudes manipulatrices, mais il doit apprendre à énoncer clairement ce qu’il souhaite et à accepter la difficile réalité qu’on n’obtient pas toujours ce que l’on veut même lorsqu’on le demande clairement.
Ceci étant dit, il est très légitime de tenter d’obtenir ce que l’on souhaite et de répondre à ses besoins, mais cette recherche de satisfaction ne doit pas se faire au détriment de l’autre, car on risque de glisser vers le non-respect et la violence psychologique. Dans un scénario idéal, le comportement manipulateur est dénoncé par la personne qui le subit et il est reconnu par l’auteur de la manipulation; celui-ci peut s’excuser de son attitude et saisir l’occasion pour exprimer ouvertement ce qu’il désire. Cela peut s’avérer une expérience blessante et décevante, mais elle peut, à la limite, permettre de clarifier les besoins de chacun. Toutefois, précisons qu’il y a une grande différence entre utiliser à l’occasion certaines ruses pour obtenir quelque chose et être un manipulateur !
Ce qui devient particulièrement troublant, destructeur et inadmissible c’est lorsque la manipulation se répète, qu’elle est niée ou devient une façon d’être en relation plutôt que de demeurer une astuce de « dernier recours » ou un accident de parcours. Pour le manipulateur, les manœuvres perverses sont devenues une façon d’être et un système de défense souvent inconscient.
Dans son livre, "Les manipulateurs sont parmi nous", Isabelle Nazare-Aga énumère une trentaine de caractéristiques propres au manipulateur relationnel : il culpabilise, ment, évite, reporte ses responsabilités sur les autres, répond aux questions de façon floue, met l’autre en doute, est égocentrique, ne communique pas clairement ses demandes et besoins, se place en victime pour qu’on le plaigne, nie les évidences, etc.
L’auteure compare le manipulateur à une personne en train de se noyer.
C’est en s’appuyant sur son entourage (ses sauveteurs) qu’il réussit à se maintenir la tête hors de l’eau. Ce n’est qu’en écrasant, dévalorisant ou culpabilisant les gens qui l’entourent que le manipulateur en vient à se valoriser et se décharger de ses responsabilités tout en réussissant à faire croire qu’il est supérieur aux autres.
Contrairement aux apparences, le manipulateur n’est pas une personne affirmative; il n’a pas confiance en lui et dépend de l’autre pour se construire une identité. Il ne respecte nullement son entourage et ne considère pas les besoins, les droits, les demandes ou les refus des autres. L’objectif du manipulateur (conscient ou non) est d’arriver à nous faire admettre qu’il est nettement plus… aimant, brillant, généreux, compétent, dévoué, cultivé, etc. Pour arriver à ses fins, il observe, met à l’épreuve et exploite nos vulnérabilités et nos failles.
Par exemple, en soulignant que nous sommes fautifs, la personne manipulatrice ne peut qu’être adéquate. Dans cet ordre d’idées, elle prête des intentions ou reproche à l’autre des déficiences, des défauts qui, en fait, sont les siens. Ce phénomène par lequel on attribue à l’autre ses propres lacunes (mécanisme de défense, projection) est très troublant pour la personne qui le subit.
Comme il a été mentionné précédemment, la manipulation devient pour le manipulateur un mécanisme de défense automatique et le seul mode de communication qu’il connaît. Les caractéristiques propres à sa personnalité manipulatrice et la façon dont il interagit avec les autres se développent dès son enfance.
En effet, certains enfants apprennent à manipuler soit par modeling (l’exemple des parents), soit par renforcement (l’enfant expérimente les bénéfices plus que les désagréments reliés à l’action de manipuler) alors que d’autres éprouvent du plaisir à exploiter les failles de leur entourage. Pour diverses raisons, par exemple les difficultés d’encadrement, la violence, la négligence, le manque d’affirmation des parents, etc., l’enfant ne réussit pas à se construire une identité propre et il échoue à développer sa confiance en lui et sa capacité à s’affirmer.
Il n’apprend pas à reconnaître et à respecter l’autre. Sous des allures très confiantes, le manipulateur, toujours centré sur lui-même, se sent plutôt vide intérieurement.
Plusieurs manipulateurs ne sont pas conscients de leurs attitudes dévastatrices.
Toutefois, certains réalisent, en partie, l’aspect inapproprié de leur attitude et tentent d’améliorer leur estime personnelle et la façon dont ils communiquent avec les autres.
Par contre, d’autres conscients de leur état jouissent du pouvoir et de la satisfaction que la manipulation peut leur conférer. Ces individus sont qualifiés de pervers ou, à la limite, de psychopathes.
À la suite d’une manœuvre de manipulation, on peut éprouver toutes sortes de sentiments : colère, confusion, tristesse, doute, surprise, incompréhension, irritation, etc. Lorsque la manipulation perdure, les effets sont dévastateurs pour la personne qui la subit. La victime n’arrive pas à comprendre qu’un individu puisse à ce point lui manquer de respect et elle développe un sentiment d’irréalité : « Ça ne se peut pas ».
La personne manipulée commence à douter de ses perceptions, de son jugement, de ses compétences et de ses qualités personnelles, ce qui mine grandement son estime et sa confiance en elle. Le doute répété engendre de la confusion : un sentiment d’inadéquation s’installe alors « Je ne suis pas correcte! » et contribue ainsi à dévaloriser davantage la victime. Elle a l’impression de ne plus savoir communiquer correctement, se sent coupable, honteuse et a tendance à s’isoler.
Les victimes peuvent développer, en outre, toutes sortes de malaises physiques (maux de tête, de ventre, de dos, des problèmes de peau, etc.) et même sombrer dans le désespoir et la dépression.
Généralement, lorsqu’on capitule et cède à la manipulation, c’est qu’on anticipe encore plus de désagréments et de malaises à l’idée de contrer cette même manipulation. Par exemple, c’est moins pénible de faire semblant d’être d’accord avec son directeur de thèse que d’endurer ses remarques méprisantes en lui disant vraiment ce que l’on pense.
On peut tolérer la manipulation pour une multitude de raisons comme éviter de subir une crise, avoir à s’affirmer, devoir se fâcher, se sentir encore plus inapproprié ou méchant, être humilié en public, mettre à jour un conflit, etc.
Quelles que soient l’origine et les intentions derrière la manipulation, il importe d’apprendre à s’en protéger. Pour ce faire, il faut d’abord repérer et reconnaître les comportements qui visent à nous manipuler. Prendre conscience et mieux comprendre le narcissisme et les mécanismes pervers qu’utilise le manipulateur aident parfois à prendre du recul et à mieux se défendre. Pour se protéger, il devient impératif de ne plus accepter de telles attitudes, de ne plus tolérer le manque de respect et le contrôle de l’autre.
Très souvent, la victime doit faire le deuil d’une communication saine et authentique avec l’autre et arrêter d’espérer que le manipulateur change.
Dans nos rapports avec un manipulateur, vaut mieux rester superficiel, flou et ne pas donner trop de détails sur notre vie personnelle.
Dans son livre, Isabelle Nazare-Aga propose la contre-manipulation, une technique qui vise à répondre comme si vous étiez indifférent au manipulateur, par exemple, en lui retournant ce qu’il dit : « c’est ton opinion », « tu as le droit de penser ce que tu veux », « chacun ses goûts », etc.
Le but ultime est de ne plus répondre, d’éviter de trop réagir de façon émotive et de cesser d’argumenter et de se justifier. Graduellement, la personne qui est manipulée doit reconstruire et consolider sa valeur personnelle. Elle doit travailler sur son sentiment de culpabilité, apprendre à s’affirmer et à faire des activités plaisantes pour elle. Il peut être très pertinent d’aller chercher de l’aide et du support afin de briser l’isolement et d’y voir plus clair.
Pour sortir de relations nuisibles et destructrices, il n’y a qu’un mot à retenir : le Respect, le respect de soi et de l’autre. Cette attitude de considération envers soi-même et envers l’autre devrait toujours, dans le meilleur des mondes, guider et inspirer nos échanges et ainsi, souhaitons-le, tenir à distance la manipulation dans nos relations avec nos semblables.
Les manipulateurs et l'amour par Isabelle Nazare-Aga, Les Éditions de l'Homme, 2000.
Que devons-nous faire quand une relation amoureuse nous détruit, écrase notre personnalité et notre identité propre ?
Comment pouvons-nous sortir d'une telle relation ?
L'auteure décrit différents comportements des manipulateurs (qui ont généralement des personnalités narcissiques et/ou antisociales) et suggère des façons de réagir aux différentes facettes de la manipulation.
Voyez aussi de la même auteure : Les manipulateurs sont parmi nous.
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HIRIGOYEN, Marie-France. Le harcèlement moral, Fidion, 1999. |
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NAZARE-AGA, Isabelle. Les manipulateurs sont parmi nous, Les Éditions de l’Homme, 1997. |
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NAZARE-AGA, Isabelle. Les manipulateurs et l’amour, Les Éditions de l’Homme, 2000. |
Source : Vies à Vies - Volume 14, numéro 3 - Janvier 2002
Avec l'aimable autorisation des auteurs |
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